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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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que des larmes lui vinssent au bord des cils. Claude aussi était ému, et plus encore de la voir si troublée. Il la prit contre lui. Des gens passaient sous les fenêtres en chantant le Ça ira. « Eh bien, dit-il au bout d’un instant, puisque c’est accompli, il n’y a plus à y revenir. Il ne nous reste qu’à roidir nos forces. »
    C’est ce qu’il déclara un peu plus tard, à la tribune des Jacobins. Il lança un pressant appel à l’union de tous les patriotes. « Oublions, conclut-il, les petites querelles qui ont pu nous diviser, les détails qui nous opposent non point sur les principes mais sur les moyens. Oublions tout ce qui n’est pas notre volonté commune de défendre et d’établir définitivement les conquêtes de la liberté, de la justice. Il faut aujourd’hui que renaisse contre les ennemis du dehors et du dedans l’esprit de la grande Fédération. Rappelez en vos cœurs l’admirable fraternité de juillet 90. Nulle puissance ne saurait égaler la toute-puissante unanimité de vingt-trois millions d’âmes. Soyons unis comme toute la France révolutionnaire l’était au Champ de la patrie, et, quels que soient les dangers, la Révolution sera invincible. »
    Un silence d’une seconde suivit cette péroraison, puis les bravos éclatèrent. Des Cordeliers aux Girondins, chacun applaudissait : Robespierre avec Brissot, Laclos avec Louvet, Condorcet, Legendre, Santerre, Couthon, Guadet, le beau Barbaroux, Gensonné, Isnard : tous les clans hostiles et pourtant animés au fond par un même idéal patriotique. Claude, descendant de la haute chaire, passait des bras de Danton à ceux de Camille, de Gorsas, de Fréron même, de Vergniaud qui demanda l’impression du discours et l’envoi aux sociétés de province. Le tout fut voté instantanément par acclamations. Dans la tribune des femmes, Lise pleurait d’émotion à côté de Lucile Desmoulins murmurant : « Ah ! quel grand cœur ! »
    Ce fut également le mot de Marat, dans l’Ami du peuple, le lendemain, 21 : « Le grand cœur de Mounier-Dupré a dicté aux patriotes leur conduite. » Et il partait là-dessus pour inviter les sans-culottes de province à se réunir avec les Parisiens afin de massacrer les aristocrates, couper les pouces et la langue aux prêtres réfractaires, empaler agioteurs, accapareurs, etc. Sous la plume d’Hébert, le Père Duchêne rendait hommage à « ce bon bougre de Mounier-Dupré ». Mais Claude, ce jour-là, n’était guère en disposition de goûter les louanges. Un billet de Rœderer venait de lui apprendre que le « supplice de la tête tranchée » aurait lieu le lendemain. L’exécution, prévue pour le 25, avait pu être rapprochée, grâce à la diligence de Schmidt, constructeur de l’appareil, au zèle du D r Louis et de Sanson empressés à satisfaire Pelletier qui hurlait dans sa prison en réclamant la mort. Claude le savait indigne de pitié, évidemment. Il avait sans faiblesse demandé contre lui la peine capitale. Mais requérir l’application de la loi à un criminel endurci, et songer que l’on va prendre un homme pour lui séparer la tête du corps, sont deux choses assez différentes. Certes, tout individu qui n’accepte pas de vivre selon les lois dictées par la volonté nationale est un ennemi de la nation. Il l’attaque, elle le tue pour se défendre. N’y a-t-il pas là néanmoins quelque chose de sauvage, et, dans la décollation particulièrement, un vestige des plus sanguinaires tyrannies orientales ? On avait rédigé trop vite l’article 3, en ne pensant qu’à étendre aux criminels de toute classe le supplice réservé jusque-là aux nobles, sans songer que ce tranchage perpétuait un usage de la barbarie. Pourquoi ne s’était-on pas inspiré là aussi de la sagesse antique ? Pourquoi n’avait-on point songé à la ciguë ou quelque autre poison propre à tuer rapidement sans souffrances ? Guillotin s’était emballé sur son système. Au fond, personne excepté lui n’avait vraiment réfléchi à la question parce qu’elle offusquait la sensibilité. La coupe de ciguë l’eût révoltée moins que la Louisette : cette machine encore mystérieuse qui excitait la curiosité du public averti par les journaux, et pour laquelle, lui, Claude, sans la connaître, éprouvait une vive répugnance.
    Il fut surpris par son aspect en la voyant au milieu de la Grève, devant l’Hôtel de ville, là où se dressait autrefois la

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