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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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fou, dit Claude, pour ne point comprendre que Louis et Marie-Antoinette surtout espèrent nous voir défaits par leur neveu, et que ce Dumouriez y prête les mains. C’est un nouveau Mirabeau, en bien pis ! »
    Ayant à requérir dans l’affaire des faux-monnayeurs, il ne put retourner au Manège. Lise y alla. Elle eut la surprise d’entendre un de ces Feuillants peu favorables à la guerre, jusqu’à ces derniers jours, en proposer lui-même le décret. En revanche, un autre le combattit aussitôt, montrant au dehors les dispositions inquiétantes de toute l’Europe, avec la Prusse douteuse, l’Espagne menaçante, l’Angleterre assurément résolue à ne point souffrir une expansion française ; au dedans, la sédition prête, une armée insuffisante, indisciplinée, le trésor en mauvaise condition. À quoi un membre du comité financier, vraisemblablement, répondit, avec l’accent de l’Hérault : « Nos finances, monsieur, vous ne les connaissez pas. Nous avons de l’argent plus qu’il n’en faut. » Eh bien, pensa Lise, cela ne paraît guère !
    Guadet – un familier des Roland, bien reconnaissable à sa sévère élégance, son air énergique – se leva entre les représentants de la Gironde et ajouta qu’aucune puissance ne pouvait disposer d’une masse comparable aux quatre millions de gardes nationaux français. Aucune n’aurait pu jeter d’un seul mot cent mille hommes aux frontières, comme cela venait d’être fait. Le précédent orateur insista cependant. « Observez bien, dit-il, que vous allez déclarer la guerre non pas à l’Autriche mais au monde. Vous allez jeter le gant à tous les rois, tous se dresseront contre nous. »
    Du haut des gradins, sous les galeries, au sommet de la « Montagne », comme disaient les gazetiers, le jeune Bazire, pur jacobin que Lise avait vu à la tribune du club et chez Danton, joignit sa voix à celle du Feuillant pour protester contre la légèreté avec laquelle on se disposait à prendre une décision des plus graves. Il s’efforça de faire entendre à l’Assemblée les idées si souvent exposées aux Jacobins par Billaud-Varenne, Robespierre et Claude. On ne l’écoutait pas. Quatre ou cinq de ses collègues l’applaudirent seuls, et dans le public Lise fut des rares personnes à les imiter. La fièvre guerrière tenait tout le monde. Elle monta encore, à un mot parti du centre : « Si votre humanité soupire de décréter en ce moment la mort pour plusieurs milliers d’hommes, songez qu’en même temps vous décrétez la liberté pour le monde. » Un député d’une trentaine d’années, à l’allure militaire s’écria : « Quoi ! l’étranger a l’audace de prétendre s’immiscer dans nos affaires nationales, nous donner un gouvernement ! Votons la guerre. Dussions-nous tous périr, le dernier de nous prononcerait ce décret. On parle de factions, ne craignez rien : dès que vous aurez décrété la guerre, les partis rentreront dans le néant. Les feux de la discorde s’éteindront au feu des canons. »
    Lise vit alors paraître à la tribune le quinquagénaire Condor-cet. Il lut une déclaration que la France, dit-il, devait au monde pour affirmer qu’elle n’ambitionnait nulle conquête et ne menaçait les droits d’aucun peuple. Sur quoi le puissant moustachu Merlin de Thionville, jacobin mais opposé de principes à Robespierre, tonna d’enthousiasme. « Oui, votons ! Votons la guerre aux rois et la paix aux peuples ! » L’Assemblée se leva quasi tout entière et, dans un fracas d’applaudissements qui faisaient vibrer le plancher des loges, vota le décret tant désiré par les Brissotins.
    Lise n’eût pas été femme si elle n’avait subi la contagion de cet élan. Elle frémissait et sentait son cœur battre, mais sa raison lui disait clairement que cette fièvre était celle de la folie. Elle avait peur. Elle éprouvait plus de crainte encore que d’enthousiasme. Les millions de volontaires fougueusement évoqués par Guadet, dans une griserie de chiffres, revêtaient pour elle une réalité infiniment moins flatteuse : celle des soldats commandés par Bernard, démunis, mal chaussés, sans discipline, plus enclins à rentrer chez eux qu’à se battre. Et elle tremblait en se rappelant ces mots : « la mort pour des milliers d’hommes » – d’hommes parmi lesquels elle voyait d’abord Bernard.
    Lorsqu’elle décrivit à son mari cette séance, elle ne le fit point sans

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