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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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liberté.
    Desmoulins, Le Bas, Fréron, Couthon dans son fauteuil à mécanique, examinaient sans enthousiasme la statue. « Je trouve fâcheusement symbolique, dit l’infirme, cette figure creuse dans le temple des lois, ce trompe-l’œil, ce plâtre et cette toile, ce faux bronze. Est-ce donc une liberté de carton que nous offrons au monde ?
    — Hon, hon, fit Camille, mieux vaut garder le bronze pour la… la défendre, que de l’employer à la figurer.
    — Du moins aurait-on pu la sculpter dans la pierre ou le marbre.
    — Trop cher, ricana Fréron. Et puis le plancher ne l’aurait pas supportée. Il n’y a pas de creux que la statue. Nous sommes ici sur le vide, pour peu que l’on continue de s’empoigner comme au Manège, nous dégringolons dans les dessous du théâtre. »
    Ces lieux, en effet, abritaient auparavant le théâtre royal inutilisé depuis plus d’un siècle. Quand l’architecte Gisors les avait eu débarrassés de la machinerie disposée en sous-sol, il s’était vu devant une énorme fosse dont le fond n’atteignait pas moins de vingt-quatre pieds au-dessous du niveau des cours. On ne pouvait songer ni à installer la Convention là-dedans ni à combler cet abîme. Trop cher, comme le disait le sarcastique Fréron. Faute de crédits, Gisors s’était donc contenté d’établir sur pilotis un plancher au niveau de l’entresol, prolongeant le carrelage de la chapelle et la sacristie, et allant jusqu’au pavillon de Marsan. C’est en partie là-dessus que se trouvait la salle de la Liberté, avec sa statue haute de dix pieds, ses murs peints comme les précédents en porphyre, et au-dessus en manière de granit, ses quatre lustres, ses quatre poêles, ses quatre grandes fenêtres donnant toutes sur le Carrousel, mais, comme celles des autres salles, percées dans le haut des parois, de telle sorte qu’à travers leurs vitres on apercevait seulement le ciel.
    Par une arcade dont le cintre reposait sur deux colonnes doriques, Claude et ses collègues entrèrent dans un nouveau vestibule étroit, au fond duquel s’ouvrait la salle des séances. Une vaste tenture de drap vert bordée de rouge, retroussée par des cordons et des glands également rouges, se relevait, encadrant la porte en noyer où des incrustations de marqueterie dessinaient sur les panneaux du bas deux chimères claires et sur ceux du haut des rosaces d’étoiles claires et sombres. Pour l’instant, les deux vantaux étaient ouverts. Des huissiers en groupe se tenaient à cette entrée réservée aux représentants. Le public accédait à ses places par les galeries de la cour.
    Marat, planté sur le seuil, contemplait la salle. Comme les girondistes auraient dû s’y attendre, il avait été acquitté haut la main par le Tribunal révolutionnaire et rapporté en triomphe, par le peuple, à la Convention, sous une pluie de fleurs. Triomphe dont il ne s’était point grisé. Il avait, aux Jacobins, repoussé les couronnes préparées pour sa fête, en s’écriant : « Indigné de voir la faction des hommes d’État trahir la république, j’ai voulu les démasquer. Ils m’ont résisté en me frappant d’un décret d’accusation. Le tribunal du peuple m’a justifié. Présentement, la faction est humiliée mais non pas détruite. Ne songez donc pas à décerner des triomphes. Défendez-vous de l’enthousiasme. Je dépose sur le bureau les deux couronnes que l’on vient de m’offrir. J’invite mes concitoyens à attendre la fin de ma carrière pour décider si j’ai mérité de la patrie. » Maintenant, à l’aspect de la nouvelle enceinte, il hochait sa tête jaune et dartreuse. « J’ai le sentiment, dit-il, que nous changeons notre cheval borgne pour un cheval aveugle.
    — Bah ! l’expression tombe mal, mon ami, observa Danton. Ici, du moins on y voit clair. »
    Effectivement, dans le haut du mur, côté jardin, cinq grandes baies distribuaient largement le jour que n’interceptait point, comme au Manège, une avancée de tribunes et de loges. Mais, là encore, l’enceinte était beaucoup trop longue, trop étroite, avec un plafond assurément beaucoup trop élevé pour l’acoustique. La salle formait, à tout prendre, un large couloir, présentant, du côté jardin, dix longs étages de banquettes, qui se recourbaient aux extrémités : une sorte d’amphithéâtre, rectiligne au centre et se refermant un peu par les deux bouts. Au-dessus, dans chacun des cinq renforcements en

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