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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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députation au Palais national, pour protester contre cette arrestation d’un magistrat du peuple. À quoi Isnard, qui présidait la Convention, cette quinzaine, répondit en traitant les délégués de conspirateurs. « S’il arrivait, poursuivit-il d’une voix furieuse où s’exaspérait son accent de Draguignan, que, par une de ces insurrections toujours renaissantes, on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare au nom de la France, je vous le déclare, Paris serait rayé de la république. La France entière en tirerait une vengeance éclatante, et bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. »
    C’était du délire, Brunswick n’avait pas dit mieux. Paris entra en transe. On se battait à coups de chaises dans les assemblées de section. Mais l’impudence du parfumeur varois, cette dernière folie, aliénait à la Gironde la plupart de ceux qui avaient été, un moment, près d’embrasser son parti contre la Commune. Seules les sections Butte-des-Moulins, Lepelletier et du Mail, pleines de ces riches que Robespierre appelait les culottes dorées, soutenaient encore les hommes d’État. Le 27 mai, à six heures du soir, elles envoyèrent leurs bataillons, avec leurs canons, mèches allumées, investir les Tuileries. À ce moment, Marat réclamait la suppression de la commission des Douze, comme ennemie de la liberté. Robespierre demandant la parole, Isnard la lui refusa. La gauche se mit à hurler. La droite était déchaînée. Danton, escaladant la tribune et tapant à coups redoublés de son gros poing sur la tablette, gronda : « Je le déclare, tant d’impudence commence à nous peser. Nous vous résisterons. Le refus de la parole à Robespierre est une lâche tyrannie ! » La veille, à la Société, Maximilien avait dit : « Quand toutes les lois sont violées, quand le despotisme est à son comble, quand on foule aux pieds la bonne foi et la pudeur, le peuple doit s’insurger. »
    Danton était encore à la tribune quand des gens entrèrent, criant que des troupes factieuses assiégeaient la Convention. Le désordre s’accrut. « Conspirateurs ! hurlait-on, à gauche. Vous voulez faire égorger la représentation nationale. » Le maire, Pache, et Garat, passé du ministère de la Justice à celui de l’Intérieur où il avait pris la suite de Roland, accoururent sur le bruit que la Convention était attaquée. Ils ramenèrent un peu de calme. On s’alarmait pour pas grand-chose, assurèrent-ils tous deux. Nulle part, il n’existait de complot. Des électeurs réunis à l’Évêché faisaient des pétitions : c’était leur droit. Les Douze avaient agi avec une vigueur excessive, mais les réclamations du peuple n’allaient pas plus loin que d’obtenir la délivrance des citoyens emprisonnés. Quant aux bataillons rangés dans les cours, ils ne menaçaient en rien la représentation, ils étaient là, au contraire, pour la défendre. « Que la Convention se montre à la porte, dit Garat, et le peuple, j’en réponds, saluera sa présence, s’ouvrira devant elle avec respect. »
    Claude voulut tenter l’expérience. Il était excédé. Accompagné par l’athlétique Delacroix, par Treilhard, Delmas, Barère, il sortit du pavillon de l’Horloge. Le soleil se couchait, cependant il faisait encore grand jour. Les compagnies sectionnaires étaient en ordre sous leurs drapeaux, fort calmes au milieu de curieux, déçus, semblait-il, de constater qu’il ne se passait rien. Les quatre membres du Comité parvinrent à leur pavillon sans le moindre encombre. Ils y trouvèrent Guyton-Morveau fort affairé à des plans et des calculs. Le calme du vaste salon, tout doré à cette heure par les rayons du soleil bas qui allumait des feux bleus, mauves, jaunes et rouges aux pendeloques du lustre, était comme un bain après les violences, les hurlements.
    « C’est égal, dit Claude à Barère, le génie t’a vraiment inspiré, quand tu as proposé cette commission des Douze !
    — J’ai agi pour le mieux, mes intentions étaient pures.
    — L’enfer est pavé des meilleures, assure-t-on », fit Delacroix en haussant les épaules avec dédain.
    Une espèce de Barère, disait Maximilien. Un de ces hommes pour lesquels il n’existe pas de vérité, pour lesquels il n’y a que des occasions. Avec son agilité, cette absence d’âme le rendait commode, surtout pour Danton, mais en l’employant on le méprisait.

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