Les autels de la peur
Robespierre voyait manifestement d’un mauvais œil cette agitation. Il déclara que l’on ne devait pas tant s’occuper du ministère congédié, qu’il fallait s’abstenir des « insurrections partielles », tout juste bonnes à « énerver la chose publique ». Ce soir, c’était lui qui parlait d’union. « Rallions-nous autour de la Constitution. Gardons-nous d’y toucher. Il n’y a d’autre mesure à prendre que de la soutenir. Je jure de mourir, ache-va-t-il, pour défendre l’Assemblée législative, mais je proteste qu’elle ne doit pas trahir ses serments pour se charger d’un fardeau plus pesant. »
« Quelle lavasse ! souffla Danton à l’oreille de Claude. Ce bougre-là n’a aucun sens des choses pratiques. Il ne serait pas même capable de faire cuire un œuf. »
« Je prends acte, conclut Robespierre, de ce que je me suis opposé à toute mesure contraire à la Constitution. »
« Mais oui, sois prudent, mon ami ! » chuchota Danton. Puis, grimpant à la tribune : « Je demande le renvoi de la discussion à demain. Le pouvoir exécutif n’a déployé son audace que parce qu’on a été trop faible. Je prends l’engagement de porter la terreur dans une Cour perverse. »
« Que veux-tu faire ? lui demanda Claude en sortant.
— Attends, tu verras, répondit-il avec un clin d’œil. J’ai idée que Legendre et Santerre pourraient bien préparer quelque chose. Mais motus ! »
Jusqu’à ce jour, Danton, tout en se montrant très emporté contre les Feuillants, les Fayettistes et la famille royale, n’avait rien mis en avant, rien conseillé. Il laissait discourir les autres ou même faisait parler des hommes à lui, comme le jeune Tallien, animateur du club des Minimes, Delacroix, le graveur Sergent, Fabre d’Églantine. Le lendemain 14, il lança une virulente attaque contre les modérés et la Cour, sans toutefois proposer aucune mesure neuve. Il fallait destituer les chefs militaires, les remplacer, renouveler les corps électoraux, mettre en vente les biens des émigrés, taxer les riches. On avait déjà entendu tout cela. La seule sensation fut une menace contre la Reine. Provoquant le congé des ministres patriotes, elle montrait un parti décidément pris contre la nation. Cela ne durerait plus : le Roi serait bientôt forcé de répudier Marie-Antoinette et de la renvoyer à Vienne. Danton termina par une allusion à certaine loi romaine rendue après le règne exécrable des Tarquins pour faire exécuter sans jugement tout homme coupable d’avoir simplement dit un mot contre les lois.
Menaces aussi vagues et confuses que violentes. Encore une fois Claude lui demanda ce qu’il avait en tête. Il répondit : « Je n’en sais rien. Il faut en finir et je crois que quelque chose mijote aux faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau.
— Une insurrection ?
— Quelque chose, je te répète, je n’en sais pas plus. Et si je le savais je n’en dirais pas davantage, mon ami, à M. l’Accusateur public. Foi de Danton, rien n’est fixé : Legendre, Santerre, son cher Alexandre, le grand cocu Saint-Huruge, s’agitent, avec quelques autres, dont Mouchet, Lazouski et Fournier l’Américain. Il y a là trop de brouillons, ils ne feront pas grande besogne. Quoi qu’il en soit, ce sera toujours mieux que de rester à brissoter en attendant le coup des ci-devant. D’ici que nos vingt mille citoyens soient réunis pour le 14 juillet, la Cour a tout le temps de nous sauter à la gorge. »
Déjà, l’avant-veille, elle avait trahi ses préparatifs en faisant demander au ministre de l’Intérieur par le Directoire départemental, tout aux ordres du Roi, la fermeture des Jacobins. Oui, la bataille était dans l’air tiède et radieux où l’on eût si agréablement vécu en paix. Une lettre insolente de La Fayette à l’Assemblée vint encore préciser le péril. Harcelé au manège par Brissot qui l’avait fait ministre, Dumouriez, n’ayant plus d’illusion sur les intentions du Roi, s’était retiré, abandonnant la Cour. À présent La Fayette, au camp de Maubeuge où son armée restait inerte, comme les deux autres de leur côté, reprenait l’attaque du Directoire contre les Jacobins. Il invoquait les lois permettant d’interdire les réunions de la Société. D’un ton menaçant, il invitait l’Assemblée à respecter la Constitution, la monarchie, la liberté religieuse : « Il faut que le Roi soit révéré, que le règne
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