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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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en allant au tribunal, au lieu de passer par le quai du Louvre puis le Pont-Neuf comme à l’accoutumée, il prit par la rue Saint-Honoré pour voir un peu comment battait le cœur populeux de Paris. Le temps radieux, avec une lumière blonde et rose et des ombres bleutées, donnait à toute chose un air léger, heureux. Les gens s’étaient levés de bonne heure. Il y en avait déjà en nombre et de toute espèce au coin des Quinze-Vingts dont la croix, surmontant le clocher pointu, luisait en plein soleil. À côté, sur la place du Palais-Royal, certains attendaient devant la façade du Château d’eau, baroque avec sa coquille. Mais la plupart se dirigeaient vers le faubourg Saint-Antoine. Claude les suivit. Quelques-uns portaient des piques. Dans cette clarté heureuse, avec leur cravate aux trois couleurs, elles ressemblaient à des armes de parade, non d’émeute. On ne devait pas se fier cependant aux airs de fête : l’an dernier, au Champ de Mars, la foule était aussi en accord avec le temps joyeux.
    Dans la rue Saint-Antoine, bonnets rouges et carmagnoles affluaient, ainsi que des guenilleux, hommes, femmes et enfants, venant sans doute des quartiers misérables du Marais, du Temple, du Pont-aux-Choux. Le pain avait beau être de nouveau abondant, bon marché avec les promesses d’une belle récolte, et les vivres en général à un prix plus proche du raisonnable : tout restait encore bien trop cher pour ces malheureux qui vivaient autrefois des aristocrates et que l’émigration réduisait à la faim, aux haillons. Tant que la Révolution totale ne serait pas faite, leur sort irait en empirant. Près d’eux, on se sentait mal à l’aise en bons habits, avec dans l’estomac un solide déjeuner de café au lait et de tartines. Claude distribua son argent de poche à quelques enfants. Une femme le bénit en lui disant : « Dieu vous le rendra, mon bon monsieur. »
    La réunion se faisait sur l’emplacement de la Bastille où s’amassait de toute part une foule très mélangée, populaire et petite-bourgeoise, nullement violente malgré bon nombre de bâtons, de piques, de sabres. Il y avait même des canons, et, juchée sur l’un d’eux, une femme. À son amazone de soie rouge, son grand feutre à panache, on reconnaissait l’amie de Danton, de Desmoulins, de Pétion : Théroigne de Méricourt, la Belle Liégeoise qui tenait rue de Tournon un salon des plus patriotiques et discourait aux Cordeliers. En avril, elle avait été chassée des Jacobins pour avoir voulu prendre la parole contre Robespierre. Elle l’accusait de calomnier les meilleurs patriotes. Furieuse de constater qu’on ne voulait pas l’entendre, elle avait sauté de la tribune des femmes dans la salle et provoqué un beau tumulte, suivi de son expulsion.
    Du côté de l’Arsenal, parmi tout un état-major, l’herculéen Santerre en uniforme, avec les épaulettes à grosses torsades d’argent et le hausse-col, montant un cheval à sa mesure, formait son bataillon et s’efforçait d’organiser le peuple en colonne. Des municipaux à écharpe tâchaient au contraire de le disperser, car le mouvement restait interdit, le Directoire ayant repoussé le conseil de Pétion et l’avis identique des administrateurs de police. En revanche, presque toutes les sections avaient autorisé leurs commandants de bataillons à marcher, certaines même à fournir des canons. Le résultat était fort confus. Aux exhortations des représentants de la Commune, les sans-culottes répondaient qu’ils ne nourrissaient nulle intention de désordre : « Nous ne voulons pas faire une émeute, nous voulons seulement être entendus, comme l’ont été les autres pétitionnaires. » D’aucuns ajoutaient : « Messieurs, venez avec nous, mettez-vous à notre tête. » Claude réussit à s’approcher de Santerre et lui demanda comment allaient les choses. « Parfaitement bien, répondit tranquillement le brasseur. Il n’y aura aucun mal, soyez sans crainte. »
    Santerre n’avait rien d’un foudre d’intelligence, mais il était plein de bon sens, d’humanité. On pouvait se fier à lui. Manuel, le procureur de la Commune, était là lui aussi avec son écharpe. Claude n’aperçut ni Danton ni Desmoulins ni Pétion ni aucune « tête » jacobine, pas même Tallien, et s’en retourna par le quai des Célestins puis le quai Pelletier. Il passa l’eau entre les maisons bordant le Pont-au-Change, pour gagner le palais de Justice

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