Les autels de la peur
À cette occasion, il présenterait une pétition à l’Assemblée et une au Roi. C’était évidemment l’éclosion du « quelque chose » subodoré par Danton. Mais, selon lui, le mouvement était sans portée, sans conséquence, sans autre dessein que de présenter ces pétitions, rédigées par des Cordeliers. Il ne s’y intéressait pas. Le Conseil de la Commune, où dominaient les modérés, ayant refusé l’autorisation, Lazouski avait déclaré que les faubourgs s’en passeraient, tout simplement.
« Et il a raison, dit l’évêque. Ce serait un comble, qu’il fallût une autorisation au peuple pour se faire entendre dans sa Maison. Le Marais nous oblige à subir les pétitionnaires de la garde nationale feuillantine et fayettiste protestant contre le camp des fédérés, nous en avons vu défiler aujourd’hui à la barre tout un bataillon. Le peuple entrera lui aussi. Quand j’ai quitté le Manège, Chabot allait au faubourg Saint-Antoine dire aux sections que la Montagne les attend sans faute : elles seront reçues à bras ouverts. »
Les Duplessis arrivèrent avec Robespierre. Ils l’avaient rencontré en bas, à la porte. Il était absolument contre l’initiative du Polonais. Au demeurant, ce sujet ne l’occupait pas beaucoup, pour l’heure. Il se montrait attentif à la charmante Adèle, mais fort emprunté en même temps. Sans trop savoir pourquoi, Claude ne se le représentait pas marié. Les femmes, auxquelles il plaisait généralement, semblaient lui faire peur, comme à un coquebin. Il était peut-être bien encore puceau, malgré les dires de ce garçon : Villiers, Pierre Villiers, qui prétendait lui avoir servi, pendant un temps, de secrétaire, rue de Saintonge, et lui donnait une mystérieuse maîtresse. Sans doute, cette invisible créature devait-elle aller avec les prétendus amants de M me Roland.
Le ciel au-dessus du Carrousel se teintait des couleurs du soir. Le ménage Pétion n’arrivait toujours pas. Lise lançait à son mari des regards inquiets. Danton, accoudé à la fenêtre avec l’évêque, contemplait les Tuileries. « Ah ! ce palais ! ce palais ! Oui, Vergniaud a dit juste : il faut y répandre la crainte puisque la raison n’y a point pénétré. » La sonnette carillonna enfin. Pétion entra avec sa femme en s’excusant. Il avait été retenu par Rœderer : leDirectoire voulait requérir la garde nationale pour empêcher le dépôt des pétitions. « C’est absurde, ajouta le maire. Les bataillons des faubourgs formeront le plus gros du rassemblement, on les opposerait aux autres. J’ai fait dire par Rœderer à Sieyès et ces messieurs du Département que le seul moyen de régulariser le mouvement est d’y appeler la garde tout entière en lerendant légal. Ainsi il ne saurait y avoir aucun risque.
— Bah ! s’exdama Danton, ce sont des bêtises. Cela ne sert à rien. »
Mi-sérieux, ni-plaisant, Claude protesta. « Comment ! Une bêtise, l’anniversaire du Jeu de Paume ! Il paraît bien que tu n’y étais pas. Si tu avais assisté à cette débandade devant la salle des Menus ! Si tu avais vu Sieyès courir comme un lapin ! Que dis-je ? Il volait véritablement. Ah ! c’était un spectacle ! Vous rappelez-vous, mes amis ? Et Mirabeau qui voulait tonner ! Le bord de son chapeau lui coupait la parole. Et cette caravane sous la pluie dans le vieux Versailles ! J’y ai pris l’un des plus beaux rhumes de mon existence. Voilà des souvenirs.
— Comme c’est loin ! dit le maire. Oui, il y a eu tous ces petits côtés, mais ce fut un grand moment. Il est bien d’en fêter l’anniversaire. »
Ni Pétion ni Robespierre, Claude s’en rendit compte, ne gardaient mémoire de son action personnelle en la circonstance. Il était depuis longtemps habitué à cet oubli. D’ordinaire le retour du 20 juin ne l’émouvait guère. Mais, après le souper, une fois leurs hôtes partis, Lise le trouva songeur. « Eh oui ! lui dit-il. Je pense à la singularité de cette fête, demain. Aucun des promoteurs du serment que l’on veut célébrer n’y participera : ni moi qui l’ai en quelque sorte provoqué, ni Mounier de Grenoble qui en a lancé la formule, ni Barnave et Duport qui l’ont transcrite, ni Bailly qui l’a lue. Tous les quatre, ils sont à présent honnis, et mon petit rôle oublié même de mes amis d’aujourd’hui qui ne sont plus ceux d’hier. Ne voilà-t-il pas de quoi rêver ! »
Le lendemain,
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