Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
moment où les deux femmes arrivaient devant chez elles, par l’autre extrémité de la rue Saint-Nicaise et par la rue des Orties la foule envahissait le Carrousel – où, du reste, se trouvait déjà pas mal de monde venu de la rue Saint-Honoré.
    Cela faisait un tel encombrement que l’on n’y distinguait rien sinon les pancartes, les piques, les rameaux de verdure. Mais, une fois montée, Lise au balcon eut une vue à peu près complète des choses. Elle se crut reportée d’un an en arrière, à ce jour tumultueux qui avait précédé, peut-être même provoqué, la fuite du Roi. Au fait, ce serait demain l’anniversaire du « décampativos des Capets et Capètes », comme disait Desmoulins du temps qu’il était républicain. En ce temps-là, Lise, de ses fenêtres, n’apercevait qu’un angle de la place et à peu près rien des Tuileries. Aujourd’hui elle découvrait une bonne moitié du Carrousel, presque toute l’aile gauche du Château au fond de la cour des Princes, et, au fond de la Cour royale, le centre : le pavillon de l’Horloge sous son dôme à pans dont les ardoises brillaient. L’aile droite, la cour des Suisses, restaient entièrement cachées par le coin de la rue Saint-Nicaise. Le pavillon de Marsan montrait juste son toit par-dessus les maisons entourant le Petit-Carrousel. À présent, comme au 18 avril de l’année précédente où le Roi et sa famille, se disposant à partir pour Saint-Cloud, avaient été retenus de force, le gros de la foule restait en suspens à distance prudente des gardes. Devant la vieille enceinte en planches, repeinte depuis l’an dernier, qui barrait le fond de la place, s’étendait une marge de pavé vide. Comme l’année dernière aussi, les soldats citoyens semblaient peu disposés à soutenir la cause du Roi. La plupart avaient ôté de leur fusil la baïonnette. D’ailleurs, parmi les groupes populaires les plus avancés autour des canons défendant le portail, on voyait beaucoup de gardes nationaux. Leurs uniformes et les bouquets de bonnets rouges ressemblaient sous le grand soleil à un champ de bleuets et de coquelicots mêlés. Un municipal, reconnaissable à son écharpe, s’était campé dans l’espace vide et haranguait la masse. On l’entendait nettement : « C’est ici le domicile du Roi, déclarait-il, vous ne pouvez y entrer en armes. Il veut bien recevoir votre pétition présentée par vingt députés.
    — C’est juste ! C’est ce qui a été promis ! » cria-t-on. À ce moment un nouveau flot arriva des guichets. En tête, Lise reconnut la puissante silhouette de Santerre, avec ses épaulettes d’argent, ses revers galonnés, son hausse-col de cuivre et son grand sabre, sa figure bonasse et son bicorne à plumet. Son égal en stature : le marquis-fort de la Halle, Saint-Huruge, et Legendre étaient près de lui. Le défilé terminé, ils avaient offert un drapeau en remerciement à la Législative. Tout marchait comme ils l’avaient voulu. Legendre portait dans sa poche la pétition cordelière qu’il comptait fermement lire au Roi.
    « Eh bien ! lança Santerre au peuple, qu’attendez-vous ? Pourquoi n’entrez-vous pas ? Sommes-nous descendus pour autre chose ! »
    Lise n’entendit pas les mots, elle vit seulement le geste. Il déclencha une ruée sur le portail. Les vantaux de bois tinrent bon, mais derrière, dans la Cour royale, nul ne donnait signe de vouloir le défendre. Il n’y avait là que des uniformes bleus, pas un habit rouge : les Suisses se trouvaient à Courbevoie, dans leur caserne, et la garde constitutionnelle – toujours existante bien qu’officiellement dissoute, toujours payée sur la liste civile – ne se montrait pas. C’était ce qu’escomptaient Legendre et ses amis, peut-être même Pétion. Ou peut-être croyait-il, comme les autres le proclamaient très haut à toute occasion, que l’on n’irait pas au Château, qu’on y déléguerait simplement une députation. De la sorte, le pouvoir exécutif n’avait pas réuni ses forces propres. Les gendarmes postés dans le Petit-Carrousel étaient en train d’agiter leurs chapeaux à la pointe de leurs sabres et de crier « Vive la Nation ! ». Sur la place, les canonniers avaient tourné leurs pièces vers les Tuileries. Ils s’apprêtaient à tirer dans le portail. Les municipaux feuillants ou modérés qui résistaient encore se résignèrent à le laisser ouvrir. Le lieutenant-colonel Santerre et ses

Weitere Kostenlose Bücher