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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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aurait pas de violences, comme on voyait des centaines de femmes dans la foule entrant toujours aux Tuileries, il laissa venir avec lui Lise, curieuse. Il leur fallut une demi-heure pour aller de leur maison au pavillon de l’Horloge au milieu de la presse. Au pied du grand escalier, ils rencontrèrent Vergniaud et Isnard arrivant du Manège par le jardin. L’Assemblée avait appris depuis un certain temps l’invasion du Château, mais on ne tenait pas à y mettre ordre tout de suite. « La leçon est bonne, dit Vergniaud, il faut qu’elle marque. Cependant il pourrait y avoir danger si elle se prolongeait trop longtemps. » Sans attendre que les mesures nécessaires fussent votées, ils avaient tous deux pris les devants. Au nom de l’Assemblée, ils s’ouvrirent un chemin dont Lise et Claude profitèrent.
    On s’écrasait dans la haute salle aux vieux lambris où Claude, en septembre, était venu avec ses collègues présenter au monarque les articles de la Constitution. Il y régnait maintenant une chaleur, une odeur, un vacarme également sauvages. Jouant des coudes, Vergniaud et Isnard gagnèrent péniblement l’embrasure dans laquelle se tenait Louis XVI. Tour à tour, ils se firent hisser sur les épaules de deux grenadiers pour parler à la foule. Ils lui dirent qu’elle aurait satisfaction, ils s’en portaient garants, mais le Roi ne pouvait répondre à des pétitionnaires armés. Obtenu ainsi, son consentement serait sans valeur. Ils devaient se conformer à la loi et se retirer. On ne les écouta ni l’un ni l’autre. Malgré un réveil d’affection pour Louis XVI donnant des gages au patriotisme, les sans-culottes n’en continuaient pas moins à proclamer : « À bas le veto ! Rappelez les ministres ! Le camp sous Paris ! » D’aucuns murmuraient : « C’est fort bien, le bonnet rouge sur la tête, mais nous savons trop qu’il ne l’a pas dans le cœur. »
    Claude partageait cette opinion. Lui et Lise, en voyant le Roi affublé de la sorte, avaient été choqués. Il ne leur venait pas à l’esprit qu’on lui eût imposé cette coiffure : nul n’y aurait songé. Il l’avait évidemment prise par complaisance hypocrite, comme il outrait toutes ses démonstrations de zèle révolutionnaire alors que son cœur appartenait à la contre-révolution. Claude regardait sans aucune pitié ce gros homme ventru, vulgaire, congestionné, en sueur, la cravate humide et fripée, à peu près pareil à ce qu’on l’avait vu dans l’antichambre voisine, un an plus tôt, au retour de Varennes. Son abaissement alors était tel, et son état si misérable, que l’on se sentait malgré soi ému par sa personne. Il réveillait un reste d’affection tenace. On pouvait encore lui pardonner, après tant de fautes, ses derniers mensonges, sa fuite, espérer que cette expérience lui avait enfin ouvert les yeux, tenter avec lui une ultime chance. À présent, en ce mois de juin 92, il ne provoquait plus que le mépris. Car ce pardon, il en avait profité pour tout gâcher de nouveau, pour compromettre plus gravement encore non seulement le succès de la Révolution dont il se proclamait l’ami, mais le sort de la France elle-même. Et maintenant il était là, grotesque avec ce bonnet que ni un Danton ni un Robespierre eux-mêmes n’eussent voulu coiffer : ce bonnet dont il détestait nécessairement le symbole et qu’il ne manquerait pas, une fois seul, de jeter avec dégoût. Les palinodies ne lui coûtaient rien. Le voilà qui recevait d’un sans-culotte un verre de vin et, l’élevant, déclarait : « Peuple de Paris, je bois à votre santé et à celle de la nation. » On applaudit. Des plaisantins crièrent : « Le Roi boit !
    — Allons-nous-en, dit Claude à sa femme. Tout cela est affligeant. »
    Ils se déplacèrent avec peine. La cohue était partout aussi forte. Dans la salle du Conseil, ils aperçurent la Reine réfugiée elle aussi dans une embrasure avec sa fille, M me  de Lamballe, M me  de Tourzel et quelques autres dames. On avait poussé devant elles comme protection la vaste table rectangulaire, sur laquelle était assis le Dauphin. Il y avait des grenadiers et deux courtisans. Santerre veillait là. En arrivant, il avait trouvé le petit prince accablé d’un bonnet rouge bien trop grand pour lui. « Ne voyez-vous pas, avait-il dit en le délivrant, que l’enfant étouffe là-dessous ! » La Reine tenait le bonnet à la main. Droite, fière,

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