Les autels de la peur
cabinet où se trouvaient aussi Brune, Fréron et Desmoulins. Le boucher se targuait d’avoir interpellé le Roi avec une fermeté romaine. « Je n’ai pas mâché mes mots. Je lui ai dit : Monsieur, vous êtes un perfide.
— Et où cela te mène-t-il, imbécile ? » répliqua rudement Danton.
Dans le même temps encore, Marie-Antoinette faisait visiter à la députation de l’Assemblée les Tuileries poussiéreuses, jonchées de détritus comme la place du Carrousel. Pas le moindre objet n’avait disparu, mais on voyait des portes enfoncées, un chambranle démoli à la hache pour dégager le canon qui s’y était coincé quand on avait voulu le descendre, des meubles brisés sous la pression de la foule. Des relents tenaces flottaient encore. Les parquets étaient salis, souillés ; la Reine elle-même, défaite, pâle de fatigue, poudreuse. Tout témoignait de l’épreuve qu’elle avait si courageusement subie. Le moustachu Merlin de Thionville ne cachait pas son émotion. « Quoi ! monsieur, vous pleurez ! remarqua Marie-Antoinette.
— Oui, madame, répondit-il, je pleure sur les malheurs d’un bon père, d’une mère de famille estimable, mais je n’ai pas de larmes pour les rois. »
Peu après, elle écrivait à Fersen ce billet à l’encre sympathique : « J’existe encor mais cest un miracle, cète journé a été affreuse, ce n’est plus à moi seul que l’on en veut cest à la vie de mon mari, ils ne s’en cache pas. Votre ami est dans le plus gran dangé, faite part de sa malheureuse situation à ses parens. »
VII
« Mon cœur, tu es un véritable prophète. On aurait dû t’élire non pas accusateur mais oracle public », déclara Lise en s’asseyant sur les genoux de son mari dont elle se mit à picoter les lèvres de petits baisers.
« Parbleu ! Ne sais-tu pas, madame, que tu as pour époux l’homme de France le plus clairvoyant ? C’est de notoriété nationale, voyons ! Je peux même t’annoncer très précisément ce qui va se passer d’ici quelques minutes si tu continues comme ça, mon petit poulet…»
Ce qu’il lui avait prédit le soir du 20 juin se réalisait assez exactement. L’envahissement des Tuileries soulevait dans la grande majorité modérée une indignation dont les Feuillants avaient su se servir, dès le 21, pour faire prendre à la Législative un décret interdisant les pétitions en armes. Et comme, à cette annonce, le faubourg s’agitait de nouveau, Pétion, mandé au Château, avait reçu du Roi un de ses coups de boutoir, comme disaient autrefois les courtisans, au temps de l’absolutisme. Le maire était arrivé en déclarant : « Sire, le calme règne. Le peuple vous a fait ses représentations, il est à présent calme et paisible.
— Cela n’est pas vrai, monsieur.
— Sire…
— Taisez-vous !
— Le magistrat du peuple n’a pas à se taire quand il accomplit son devoir et qu’il dit la vérité.
— Souvenez-vous que vous êtes responsable de la tranquillité de Paris.
— Sire, le Conseil général de la Commune…
— Assez, monsieur. Retirez-vous. »
Les échos de ce dialogue avaient couru la ville où l’on affichait une proclamation de la Cour. Fort habile, elle faisait de Louis XVI un martyr du devoir : « Les Français, disait-elle, n’auront pas appris sans douleur qu’une multitude, égarée par quelques factieux, est venue à main armée dans l’habitation du Roi. Il n’a opposé aux insultes et aux menaces que sa conscience et son amour pour le bien public. Il ignore quel sera le terme où les factieux voudront s’arrêter ; mais, à quelque excès qu’ils se portent, ils ne lui arracheront jamais un consentement à ce qu’il croira contraire à l’intérêt général. Si ceux qui veulent renverser la monarchie ont besoin d’un crime de plus, ils peuvent le commettre… Le Roi ordonne à tous les corps administratifs et municipaux de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés. » Un avocat monarchiste ayant eu l’idée de déposer chez les notaires une adresse de protestation et de loyalisme, elle s’était couverte de vingt mille signatures, tandis que le directoire du Département, présidé par La Rochefoucauld, décidait d’ouvrir une information contre Pétion et le procureur de la Commune, Manuel.
« Vas-tu être contraint de requérir contre eux ? demanda Lise.
— Assurément non. J’ai clairement laissé entendre à Rœderer que non
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