Les autels de la peur
despotisme, Paris assiégé par l’armée de la Cour, et que ces jours de danger furent les jours de gloire de notre première Assemblée, je vais appeler votre attention sur l’état de crise où nous sommes. Ces troubles intérieurs ont deux causes : manœuvres aristocratiques, manœuvres sacerdotales. Toutes tendent au même but : la contre-révolution. »
Lise était empoignée, non seulement par l’éloquence ardente et majestueuse de l’orateur, mais aussi par cette démonstration qui se développait avec la rigueur d’un théorème. Quand les applaudissements de la gauche et d’une grande partie du centre le lui permirent, Vergniaud poursuivit : « Le Roi a refusé sa sanction à votre décret sur les troubles religieux. Je ne sais pas si le sombre génie des Médicis et du cardinal de Lorraine erre encore sous les voûtes des Tuileries, mais il n’est pas permis de croire, sans accuser le Roi d’être l’ennemi le plus dangereux de la Révolution, qu’il veuille encourager par l’impunité les tentatives criminelles de la tyrannie sacerdotale, et rendre aux orgueilleux suppôts de la tiare la puissance dont ils ont également opprimé les peuples et les rois. Il n’est pas permis de croire, sans le déclarer le plus cruel ennemi de l’empire, qu’il se complaise à perpétuer les séditions, à éterniser les désordres. J’en conclus que s’il résiste à vos décrets, c’est parce qu’il se juge assez fort sans les moyens que vous lui offrez pour maintenir la paix publique. Si donc la paix publique n’est pas maintenue, si la torche du fanatisme menace d’incendier le royaume, si les violences religieuses désolent toujours les départements, que les agents de l’autorité royale en répondent sur leur tête !
« Le Roi a refusé sa sanction au décret du camp des fédérés sous Paris. Je respecte trop l’exercice d’un droit constitutionnel pour vouloir rendre les ministres responsables de ce refus, mais s’il arrive qu’avant le rassemblement des bataillons le sol de la liberté soit profané, vous devrez traiter ces ministres comme des traîtres. Il faudra les jeter eux-mêmes dans l’abîme que leur incurie ou leur malveillance aura creusé. »
Pâle dans la médiocre lumière, se tamponnant le visage car il faisait très chaud, Vergniaud prit un temps sous les acclamations. Elles s’éteignirent assez vite, on sentait approcher la partie capitale du discours, on brûlait d’y atteindre. La grande voix s’éleva de nouveau : « C’est au nom du Roi que les princes français soulèvent contre la France les cours de l’Europe, c’est pour venger la dignité du Roi que s’est conclu le traité de Pillnitz, c’est pour défendre le Roi que l’on voit accourir en Allemagne sous le drapeau de la rébellion les anciennes compagnies de gardes du corps, c’est pour venir au secours du Roi que les émigrés s’enrôlent dans les armées autrichiennes et s’apprêtent à déchirer le sein de la patrie, c’est pour se joindre à ces preux chevaliers de la prérogative royale que d’autres abandonnent leur poste en présence de l’ennemi (Et voilà pour La Fayette ! fit à mi-voix M me Roland), trahissent leurs serments, corrompent les soldats et placent ainsi leur honneur dans la lâcheté, le parjure, l’insubordination, les assassinats. En un mot, le nom du Roi est dans tous les désastres.
« Or, je lis dans la Constitution : Si le Roi se met à la tête d’une armée et en dirige les forces contre la nation, ou s’il ne s’oppose pas par un acte formel à une telle entreprise exécutée en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté. C’est en vain que le Roi répondrait : il est vrai, les ennemis de la nation prétendent n’agir que pour relever ma puissance, mais j’ai prouvé que je n’étais pas leur complice : j’ai obéi à la Constitution, j’ai mis les armées en campagne. Il est vrai que ces armées étaient trop faibles, mais la Constitution ne détermine pas le degré de force que je devais leur donner. Il est vrai que je les ai rassemblées bien tard, mais la Constitution ne détermine pas le temps auquel je devais les rassembler. Il est vrai que des camps de réserve auraient pu les soutenir, mais la Constitution ne m’oblige pas à former des camps de réserve. Il est vrai que, lorsque les généraux s’avançaient sans résistance sur le territoire ennemi, je leur ai donné l’ordre de reculer, mais la
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