Les autels de la peur
Constitution ne me commande pas de remporter la victoire. Il est vrai que mes ministres ont trompé l’Assemblée nationale sur le nombre, la disposition des troupes et leurs approvisionnements, mais la Constitution me donne le droit de choisir mes ministres ; elle ne m’ordonne nulle part d’accorder ma confiance aux patriotes et de chasser les contre-révolutionnaires. Il est vrai que l’Assemblée a rendu les décrets nécessaires à la défense de la patrie et que j’ai refusé de les sanctionner, mais la Constitution me garantit le droit de veto. Il est vrai enfin que la contre-révolution s’opère, que le despotisme va remettre entre mes mains son sceptre de fer, que je vous en écraserai, que vous allez ramper, que je vous punirai d’avoir voulu être libres ; mais tout cela se fait constitutionnellement. Il n’est émané de moi aucun acte que la Constitution condamne. Il n’est donc pas permis de mettre en doute ma fidélité envers elle et mon zèle pour sa défense. »
Dans les loges, les tribunes, les galeries à balustres, sur les bancs montagnards, il y eut une explosion de bravos, d’acclamations triomphantes, tandis que le Marais feuillant hurlait sa rage. Les patriotes exultaient de voir anéanti le mythe du Roi défenseur de la Constitution, martyr du bien public. Enfin ! la vérité qu’ils connaissaient trop, mais qu’ils n’auraient su démontrer, était mise en une irréfutable évidence. Ah ! Vergniaud la leur donnait, aux monarchistes, cette preuve qu’ils prétendaient impossible : cette preuve de la duplicité de Louis XVI retranché derrière la charte constitutionnelle pour paralyser la Révolution et l’anéantir avec l’aide de l’étranger.
« S’il était possible », reprenait l’orateur, poursuivant sa supposition transparente, « s’il était possible, messieurs, que dans les calamités d’une guerre funeste, dans les désordres d’un bouleversement contre-révolutionnaire, le Roi des Français tînt ce langage dérisoire ; s’il était possible qu’il leur parlât de son amour pour la Constitution avec une ironie si insultante, ne serions-nous pas en droit de lui répondre : Ô roi qui avez cru avec le tyran Lysandre que la vérité ne valait pas mieux que le mensonge, et qu’il fallait amuser les hommes par des serments comme on amuse les enfants avec des osselets, qui avez feint d’aimer les lois pour conserver la puissance qui vous servirait à les braver, la nation pour assurer le succès de vos perfidies, pensez-vous nous abuser à présent avec d’hypocrites protestations ? Pensez-vous nous donner le change sur la cause de nos malheurs ? Était-ce nous défendre que d’opposer aux soldats étrangers des forces dont l’infériorité ne laissait pas même d’incertitude sur leur défaite ? Était-ce nous défendre que d’écarter les projets tendant à fortifier l’intérieur du royaume ? Était-ce nous défendre que de ne pas réprimer un général qui violait la Constitution, et d’enchaîner le courage de ceux qui la servaient ? Était-ce nous défendre que de paralyser sans cesse le gouvernement par la désorganisation continuelle du ministère ? La Constitution vous laissa-t-elle le choix des ministres pour notre bonheur ou pour notre ruine ? Vous fit-elle chef de l’armée pour notre gloire ou notre honte ? Vous donna-t-elle enfin le droit de veto, une liste civile et tant de grandes prérogatives, pour perdre constitutionnellement la Constitution et l’empire ? Non, non, homme que la générosité des Français n’a pu émouvoir, homme que le seul amour du despotisme a pu rendre sensible, vous n’avez pas rempli le vœu de la Constitution. Elle peut être renversée, mais vous ne recueillerez pas le fruit de votre parjure. Vous ne vous êtes pas opposé par un acte formel aux victoires remportées en votre nom sur la liberté. Vous n’êtes plus rien pour cette Constitution que vous avez si indignement violée, pour ce peuple que vous avez si lâchement trahi ! »
Un nouveau tonnerre coupa la parole à Vergniaud. Les Jacobins l’acclamaient. Enfin ! on osait, à la tribune, évoquer la déchéance ! Il fit un geste de la main et continua : « Comme les faits dont je viens de parler ne sont pas dénués de rapports très frappants avec plusieurs actes et dispositions du Roi ; comme il est certain que les faux amis qui l’environnent sont vendus aux conjurés de Coblentz, qu’ils songent à le perdre
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