Les autels de la peur
le salut de la patrie. »
Desmoulins et Chabot, aux Jacobins, dénoncèrent un projet d’enlèvement du Roi, préparé par La Fayette qui se disposait, dirent-ils, à venir à Paris avec des troupes pour se réunir à la ci-devant garde constitutionnelle. Alors Danton se leva. « Peuple, déclara-t-il froidement, on t’abuse. On veut te faire croire à la possibilité d’une entente avec l’exécutif ; jamais on ne compose avec les tyrans. Nos frères des départements doivent jurer de ne se séparer que lorsque les traîtres seront punis par la loi ou auront passé à l’étranger. Le droit de pétition n’a pas été enseveli au Champ de Mars avec les cadavres de ceux qui y furent immolés. Qu’une pétition nationale sur le sort du pouvoir exécutif soit donc présentée au Champ de la Patrie par la nation souveraine. »
Sur quoi, il sortit. Claude, arrivant tard, car il avait été retenu au tribunal par une longue audience, le trouva dans la cour, entouré de ses compagnons habituels, et comme il lui demandait où l’on en était : « Nulle part. Ils sont là qui bavardent à n’en plus finir », répondit Danton avec un signe de tête méprisant dans la direction de la salle. « Un tas de parleurs ! » Et, se retournant vers ses amis : « Imbéciles que vous êtes, à quoi bon tant de façons avec les aristocrates, avec les tyrans ! Faites donc comme eux ; vous étiez dessous, mettez-vous dessus : voilà toute la Révolution ! »
VIII
Les exhortations de Claude à Guillaume Dulimbert avaient eu un résultat singulier, comme l’écrivit l’homme aux lunettes. « Frère et ami, nous avons entendu votre appel et ceux de l’évêque, le zèle patriotique s’est réchauffé dans les cœurs. Il ne faut point toutefois lui demander trop. Malgré tous nos efforts à quelques-uns, il n’ira pas plus loin, je crois, que l’envoi d’une adresse à notre sainte Société Mère. Les autorités ne font paraître aucune chaleur pour une nouvelle levée de volontaires. Il n’y aura pas de contingent limousin au camp des fédérés, hormis nos deux bataillons puisqu’ils se trouvent encore à Soissons. Le Département estime cela suffisant. En revanche, le réveil de la flamme citoyenne a produit un effet auquel vous ne vous attendiez sans doute point et qui ne vous sera peut-être pas agréable, mais les sentiments doivent s’effacer devant l’intérêt public : le Conseil général de la Commune a reçu, hier, une pétition signée de quatre-vingts patriotes demandant la déposition de Naurissane ; il y a fait droit sur-le-champ. Votre beau-frère, n’exerçant plus ses fonctions depuis plusieurs mois, ne pouvait continuer à être maire. Du reste, son remplacement ne va pas tout seul ; la situation financière ici est telle que, si les partis désirent vivement le pouvoir municipal, personne n’en veut supporter la responsabilité. Je me suis permis de faire dire à M me Naurissane, et je vous suggère de l’en aviser lui-même, que si son mari ne rentre pas sous peu en Limousin, il risque d’être considéré comme émigré. Selon moi, il ne courrait aucune espèce de danger à Brignac, du moins dans la situation présente. »
Claude finissait de lire, lorsqu’il remarqua, par la fenêtre ouverte, une agitation aux Tuileries. Il y avait tout un remue-ménage dans la grande cour, sur le Carrousel. On amenait des écuries la voiture du Roi, des grenadiers à cheval accouraient. Claude appela sa femme : « Il se passe quelque chose », dit-il. Ils virent Louis XVI en habit de soie brune sortir vivement du pavillon de l’Horloge avec quelques personnes, monter en voiture aussi vite que le lui permettait sa corpulence, et la cavalcade partit bon train par la rue de l’Echelle. Ce mouvement au Château avait soulevé la curiosité des voisins, ils étaient aux fenêtres, les boutiquiers sur leurs seuils. Des gens s’élançaient sur les traces de l’escorte royale. Margot, qui rentrait, donna la clef du mystère : « On s’embrasse, à l’Assemblée. Tout le monde embrasse tout le monde, à ce qu’on dit. On est allé chercher le Roi pour qu’il vienne s’embrasser lui aussi avec les députés.
— Pas possible ! » s’exclama Claude stupéfait.
C’était incroyable et pourtant vrai comme il le sut un peu plus tard. L’évêque constitutionnel de Rhône-et-Loire : Lamourette, ayant conjuré ses collègues de s’unir « pour rendre l’ordre à
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