Les autels de la peur
l’empire et la sécurité à la nation », l’inimaginable s’était produit : Feuillants et Jacobins, la Montagne et la Plaine, avaient oublié leur mutuel soupçon, leurs accusations réciproques, en se jurant de ne plus songer qu’au salut public. Prévenu par Lamourette et une députation, le Roi était arrivé en hâte pour déclarer avec une émotion manifeste : « Je ne fais qu’un avec vous. Notre union sauvera la France. » Tout tournait à la concorde, à l’enthousiasme. Toute la relevée, le Carrousel fut rempli de peuple criant sous les fenêtres du Château : « Vive le Roi ! » En signe de joie et de confiance, il avait fait rouvrir la terrasse des Feuillants fermée au public depuis le 20 juin.
Mais le soir, au club, Claude constata qu’il ne restait déjà plus rien de ce bel accord. Un arrêté du directoire de Paris, suspendant Pétion et Manuel, et ordonnant des poursuites contre les responsables du 20 juin, venait de rallumer les torches à peine éteintes. On accusait Lamourette d’avoir voulu endormir l’Assemblée pour faire le jeu des Feuillants, on réclamait avec fureur l’envoi de La Rochefoucaulddevant la HauteCour, à Orléans. Billaud-Varenne, assurant sa petite perruque rousse qui avait toujours tendance à glisser, déclara : « Le baiser qu’on nous a donné est celui de Judas, c’est le baiser de Charles IX à Coligny. On s’embrassait ainsi, au 6 octobre, au moment où le Roi préparait sa fuite. On s’embrassait ainsi avant le massacre du Champ de Mars. On s’embrasse, mais les conspirations de la Cour cessent-elles ? Nos ennemis en avancent-ils moins contre nos frontières ? La Fayette en est-il moins un traître ? »
Le Roi confirma le décret du Directoire. Le peuple continua de venir au Carrousel, au Manège, mais pour crier : « Pétion ou la mort ! À bas le Directoire ! La Rochefoucauldà Orléans ! » On ne portait point d’armes, mais on chantait le Ça ira, qui n’était plus le chant pacifique et confiant de la première Fédération. Il grondait à présent :
Les aristocrates à la lanterne,
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates on les pendra…
Les pétitions demandant plus ou moins ouvertement la déchéance de Louis XVI s’accumulaient sur le bureau de l’Assemblée. Le 12, les Jacobins et Girondins obtinrent le rétablissement de Pétion.
Au club, où Brissot était retourné avec sa figure maigre, son air affairé et son vieil habit, les débats devenaient de plus en plus violents, sans avancer à rien. L’imminence, la nécessité d’une nouvelle insurrection s’imposaient à tous les esprits : il fallait en finir avec Louis XVI et Marie-Antoinette. Danton avait annoncé publiquement que l’on se débarrasserait de la Cour le 14. Cependant son idée de pétition au Champ de Mars n’était pas suivie. Nul ne savait par quoi, par qui on remplacerait le Roi. Robespierre voulait faire convoquer les assemblées primaires, elles éliraient une Convention nationale chargée de réformer la Constitution. Danton, plus vague que jamais, déclarait : il faut agir, on verra bien. Sans doute songeait-il encore à une régence, mais une grande partie des Cordeliers, Dubon en tête, la majorité des Jacobins avec Robespierre, enfin la Gironde, s’opposaient formellement à toute idée orléaniste. Brissot envisageait simplement la fusion du législatif et de l’exécutif dans l’Assemblée gouvernant par ses comités, comme elle l’avait fait après le départ du Roi. Parbleu ! ce serait l’oligarchie girondine qui exercerait une dictature multiforme et irresponsable, plus étendue encore que l’avait été celle du triumvirat. Robespierre se convulsait à cette pensée. Claude non plus ne pouvait l’admettre, et, cherchant en vain un homme auquel confier la première magistrature d’une république, il ne trouvait toujours personne. Danton aurait eu l’énergie nécessaire, mais tantôt en éruption, tantôt se moquant de tout, il ne donnait aucune garantie de sérieux. Robespierre, lui, l’offrait au plus haut point, cette garantie ; malheureusement, il n’avait aucun sens pratique. Et puis, avec son orgueil, son acidité, son caractère soupçonneux et rancunier, il tournerait vite au despote. Pourtant Dubon, comme Panis, Sergent, voyait en lui l’homme nécessaire. Dubon récusait Danton, « ambigu, disait-il, et qui n’a jamais eu la fibre républicaine ; suspect de vénalité,
Weitere Kostenlose Bücher