Les autels de la peur
vociférants, ils tirèrent d’Espréménil dans le crottin, la poussière et le ruisseau puant de la ruelle du Dauphin. Ils l’allaient jeter dans l’égout de la rue Saint-Honoré, lorsque des gardes nationaux survinrent enfin, leur arrachèrent le malheureux et, comme la foule s’ameutait, se retranchèrent avec lui dans l’hôtel de la Trésorerie, au Palais-Royal. Pétion, prévenu, arriva en même temps que la femme du blessé, bien connue pour sa charité. On l’appelait « la mère des pauvres ». Couché par terre sur une paillasse, son mari était gravement meurtri mais vivant. À la vue du maire, son ancien collègue aux États généraux, il souleva une main tremblante, dégoulinante de sang, et murmura : « Moi aussi, j’ai été l’idole du peuple ! » Pétion s’évanouit.
Les jours suivants, Claude reçut avis de plusieurs autres attentats non moins barbares. Un prêtre jureur qui avait rétracté son serment fut pendu à un réverbère sur la place LouisXV devant le garde-meuble. Un ancien garde du corps, pour avoir manifesté des sentiments royalistes, fut saisi, aux Tuileries, par une foule de mégères et d’adolescents, traîné au bassin rond et noyé avec des raffinements de cruauté, le visage maintenu dans l’eau. Impossible de trouver les coupables : à eux aussi, leur nom était légion. Au demeurant, il n’existait plus d’autorités pour faire respecter la loi, hormis la municipalité. Le ministère venait de démissionner, le directoire du Département aussi ; son Conseil général ne représentait plus grand-chose, son tribunal non plus. Tout se désagrégeait. Le fragile État constitutionnel, œuvre artificielle du Triumvirat, que Claude savait dès l’origine condamnée, s’effondrait sous le soleil de juillet 92, comme la monarchie de droit divin s’était écroulée sous la pluie de juillet 89. Une fois encore, c’était l’anarchie.
IX
La proclamation publique du péril de la patrie, réclamée le 4, votée le 11, n’était toujours pas faite. Manifestement, le pouvoir exécutif employait là encore sa force d’inertie, pour empêcher ou retarder le grand élan national que cette proclamation ne manquerait pas de produire et dont ni la Cour ni ses ministres monarchistes ne voulaient. Il n’y avait toutefois nul moyen de ne point communiquer les actes législatifs aux départements. Les expéditions destinées à la Haute-Vienne étaient parvenues à Limoges le 14 à onze heures de la nuit, apportées par un courrier extraordinaire. Le président du Directoire les avait immédiatement envoyées par estafettes aux districts et aux municipalités. Le lendemain, dimanche, le corps municipal, assemblé dès six heures du matin, décidait que la garde nationale se réunirait à onze heures, place d’Orsay, pour entendre lecture de la loi du 11 et du décret du 12. En attendant, il ordonnait l’affichage. Peu après huit heures, les Limougeauds, sortant de chez eux par cette belle matinée, pouvaient voir sur les murs le placard suivant :
ACTE DU CORPS LÉGISLATIF
NON SUJET A LA SANCTION DU ROI
Qui déclare que la Patrie est en danger
Donné à Paris, le 12 juillet l’an 4 e de la Liberté.
L OUIS , par la grâce de Dieu et par la Loi constitutionnelle de l’État, Roi des Français : À tous présents et à venir, Salut.
L’Assemblée nationale a décrété et Nous voulons et ordonnons ce qui suit :
Décret de l’Assemblée nationale du 11 juillet 1792, l’an quatrième de la Liberté.
Des troupes nombreuses s’avancent vers nos frontières ; tous ceux qui ont horreur de la liberté s’arment contre notre Constitution.
CITOYENS , LA PATRIE EST EN DANGER !
Que ceux qui vont obtenir l’honneur de marcher les premiers pour défendre ce qu’ils ont de plus cher se souviennent toujours qu’ils sont Français et libres ; que leurs concitoyens maintiennent dans leurs foyers la sûreté des personnes et des propriétés ; que les magistrats du peuple veillent attentivement ; que tous, dans un courage calme, attribut de la véritable force, attendent pour agir le signal de la loi, et la patrie est sauvée. Mandons et ordonnons à tous les Corps administratifs et tribunaux que les présentes ils fassent consigner dans leurs registres, lire, publier et afficher dans leurs départements et ressorts respectifs, et exécuter comme loi du royaume. En foi de quoi Nous avons signé ces présentes, auxquelles Nous avons fait apposer le
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