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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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aux corps administratifs et judiciaires. Le Champ de la Fédération en prenait un aspect de camp militaire, et la fête un caractère grave, guerrier, funèbre même, car on voyait, à droite des degrés monumentaux qui occupaient toujours le centre, une pyramide aux morts pour la liberté, aux héros qui allaient à leur tour mourir pour la patrie.
    Sur la plate-forme de l’autel, on avait remplacé la table de célébration par une colonne tronquée. Le temps n’était plus aux Te Deum, aux messes, même constitutionnelles. À gauche des marches, en pendant au monument des morts, se dressait un arbre sec, portant à ses branches des couronnes, des mitres, des tiares, des chapeaux de cardinaux, des cordons bleus, des blasons et autres insignes de dignitaires. C’était l’arbre de la féodalité. Selon le programme annoncé par les journaux, il devait être brûlé.
    L’esplanade restait à peu près vide entre ses gradins de gazon couverts de spectateurs, lorsqu’on commença d’entendre, dans le lointain, le roulement des tambours, et brusquement une multitude se déversa en flots par la berge de la Seine, par le Gros-Caillou, par le côté de l’École militaire. Sitôt après, le cortège apparut devant celle-ci, avec, en tête, les fédérés se tenant par le bras. Ils transportaient une de ces pierres de la Bastille que Palloy avait fait tailler à l’image de la forteresse. Puis parurent les légions de la garde nationale, quelques troupes de ligne, enfin l’Assemblée avec les autorités. On vit alors des bataillons bleu et blanc se former en carré. Tandis qu’ils avançaient lentement à travers la foule, on reconnut au milieu d’eux la corpulente silhouette du Roi, sa tête poudrée, son habit brodé. La Reine suivait anxieusement sa marche, du balcon de l’École militaire, avec une lunette. On se bousculait autour de l’autel. La presse y était si grande que le Roi, resserré au milieu des représentants, manqua une marche. « Mon Dieu ! il va tomber ! » s’exclama la bonne M me  Danton. Marie-Antoinette elle aussi avait poussé un cri en le voyant chanceler, disparaître. Elle le crut frappé, mais déjà il s’était rétabli. Il parvint sur la plate-forme où, d’une voix forte et tranquille qui porta distinctement jusqu’aux gradins, il prononça la formule du serment civique. Les corps constitués, les soldats, les fédérés la répétèrent au son du canon. Les députés, entourant Louis XVI, voulurent le conduire à l’arbre de la féodalité pour qu’il y mît lui-même le feu. Il répondit : « C’est inutile, la féodalité n’existe plus. » Il rentra dans son carré de gardes et repartit vers l’École, acclamé par son escorte et par beaucoup de ceux qui, après avoir crié tout à l’heure : « Vive Pétion ! » criaient maintenant : « Vive le Roi ! » Desmoulins haussait les épaules. L’arbre de la féodalité crépitait en brûlant et jetait des flammes, pâles dans le grand soleil.
    Le lendemain, Lise se promenait aux Tuileries avec Claudine, quand elles entendirent des hurlements et virent des gens courir sur la terrasse des Feuillants, le long de la Carrière. Curieuses, elles s’approchèrent et demeurèrent pétrifiées à la vue d’un homme couché sur le sol, les vêtements en lambeaux, saignant, tailladé, que des fédérés frappaient encore à coups de sabres, à coups de pieds, en le traînant par les cheveux. Claudine faillit tomber en faiblesse. Des femmes la soutinrent, la firent asseoir, tandis que Lise, fouettée par l’indignation, s’écriait : « Mais quelle horreur ! Arrêtez ! Arrêtez-vous, monstres ! Laissez ce malheureux ! » Un des massacreurs s’avança vers elle avec son sabre. Voyant la cocarde de laine qui la désignait comme une vraie patriote, il se contenta de répondre : « Allons, allons, citoyenne, vous ne savez pas de quoi il s’agit. Ce misérable est Duval, ci-devant d’Espréménil. Au temps des parlements, il prétendait défendre le peuple, et il l’a trahi, il s’est tourné du côté de la Cour.
    — Est-ce une raison pour vous conduire comme des sauvages ? Vous déshonorez l’uniforme des soldats de la patrie !
    — Citoyenne, si vous portiez une cocarde en ruban, vous seriez déjà fessée, mais je vois bien que c’est la femme sensible qui parle. Laissez faire cependant les vengeurs du peuple. »
    Et l’homme courut rejoindre ses compagnons. Suivis par des gamins

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