Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
sceau de l’État.
    À Paris, le douzième jour du mois de juillet mil sept cent quatre-vingt-douze, l’an quatrième de la Liberté et le dix-neuvième de notre règne. – Signé LOUIS . Et plus bas : De Joly. Et scellées du sceau de l’État.
    Cinq jours plus tard, le vendredi 20, Claude reçut une lettre de son père qui le mettait au courant « d’événements très graves » survenus à Limoges le 15 juillet à la suite de cette déclaration. « Il serait difficile, écrivait M. Mounier, de te dépeindre l’émotion suscitée par l’affichage du décret. En peu de temps, toute la population fut en effervescence. La colère se mêlait à la crainte. Nombre de citoyens réclamaient à grands cris des armes, menaçant d’enlever celles qui, disaient-ils, se trouvaient entre les mains des aristocrates et des suspects. À neuf heures, les officiers de la garde nationale étaient réunis chez le colonel Barbou. Un premier incident s’y produisit. Comme les assistants, en cercle dans le salon avec leurs uniformes et leurs épaulettes, commentaient l’inquiétante nouvelle, deux officiers de petite condition, récemment promus, se présentèrent. Le colonel les accueillit très bien, mais le père Delmay, toujours frotté d’esprit rétrograde, marcha sur eux en déclarant qu’il les trouvait bien osés de se présenter dans une société d’honnêtes gens. Il leur enjoignit de sortir. Barbou, indigné, protesta. Là-dessus, Nicaut, défiant Delmay du regard, dit qu’en présence du danger de la patrie il n’y avait plus à hésiter : « Il faut à présent tracer une démarcation entre les bons et les mauvais citoyens, et écraser les ennemis du bien public. » C’était certainement l’avis de notre ami Barbou, mais il ne pouvait tolérer chez lui cette altercation, aussi pria-t-il tous les officiers de se retirer, ajoutant qu’il ne s’exposerait plus à laisser de pareilles scènes se produire dans sa maison. À quoi certains, paraît-il, auraient répondu que l’on trouverait d’autres lieux pour se réunir, et même que, s’il ne faisait pas son devoir, on saurait bien le remplacer. Tu vois à quel point d’échauffement étaient montés les esprits.
    « L’heure fixée pour la réunion de la garde nationale sur la place d’Orsay arriva. Beaucoup de peuple s’était joint à la troupe. Le soleil tapait à plein, ce qui ne calmait pas l’excitation. Les compagnies se tenaient en rangs sous les arbres. Doudet et moi avions été désignés à titre de commissaires pour lire, devant chaque compagnie successivement, le décret de l’Assemblée nationale. Ce que nous exécutâmes en ajoutant quelques exhortations civiques : appels à la discipline, au calme. Nous fûmes interrompus par un grand mouvement qui se produisait du côté du cimetière des Arènes, avec des clameurs. Nous y courûmes : un nombre assez considérable de citoyens non armés exigeaient à grands cris des fusils, protestant que si on ne leur en fournissait pas au moment où la patrie était en danger, ils les prendraient eux-mêmes. La compagnie des grenadiers, rompant ses rangs, se mêlait à ce peuple avec lequel elle faisait cause commune. Elle déclarait qu’il fallait ôter les armes aux hommes suspects d’aristocratie qui portaient l’uniforme sans accomplir le service. L’agitation se communiquait à toutes les troupes où éclataient les différences de parti. Ici et là, des gardes s’avançaient en désordre, mordaient la cartouche, chargeaient leurs armes. On allait, je ne le voyais que trop, aux plus redoutables égarements. »
    La scène était facile à imaginer : une réédition de la Grande Peur, au confluent des routes d’Angoulême et de Bordeaux, non plus sur la place des Carmes elle-même mais sur la promenade d’Orsay qui la dominait de son terre-plein et de ses frondaisons ; et là, du côté le plus large, sous lequel s’alignaient les cyprès du petit cimetière des Arènes, entre ombre et soleil la confusion des uniformes bleus, des bonnets à poil, avec la foule bariolée.
    « Doudet et moi, continuait M. Mounier, usâmes de toute notre énergie pour sommer, au nom de la loi, les gardes de reprendre leurs rangs, les citoyens de s’écarter. Barbou ainsi que son état-major s’étaient joints à nous. Un calme relatif se rétablit, néanmoins la situation demeurait critique. Aussi, d’un commun accord, décida-t-on de faire défiler la garde nationale pour la

Weitere Kostenlose Bücher