Les autels de la peur
les formes légales. »
C’était aussi l’idée de Robespierre, comme celle des principaux Girondins. Leur lettre, et même une entrevue de Guadet avec le Roi et la Reine, n’ayant produit aucun effet, il ne restait plus aux yeux de tous d’autre issue que la déchéance. Dubon, avec le soutien de Collot d’Herbois, la fit réclamer, officiellement en quelque sorte, par le bureau des 48 . On rédigea une pétition catégorique. Pétion fut chargé de la présenter à l’Assemblée au nom des quarante-huit sections de Paris. Cette forme lui convenait, à lui également, beaucoup plus que l’insurrection armée. Il appuya la pétition d’un exposé des motifs ferme et irréfutable. L’Assemblée en discuta passionnément, puis remit le débat décisif au jeudi. Claude écrivit aussitôt à Danton, l’avisant qu’il devait être à Paris au plus tard ce jour-là. Ce serait le 9 août.
Dans tous les clans, on ne voyait que des gens affolés. Marat, après avoir distribué aux Marseillais une adresse incendiaire, où il recommandait néanmoins de respecter le Roi et la famille royale, demandait à Barbaroux son aide pour s’enfuir à Marseille et s’y cacher. Il n’envisageait rien de moins en la circonstance que de se déguiser en charbonnier. Les Roland préparaient une retraite sur Bordeaux où ils voulaient emmener Brissot et les Girondins pour constituer là-bas un gouvernement national. Robespierre, au désespoir des Duplay, songeait également à gagner Marseille si les choses tournaient mal. À peu près seul de son parti, Vergniaud se montrait résolu à demeurer ici, et, ajoutait-il tranquillement, « à mourir sur place s’il le faut ». Comme Claude, un peu ému par cette panique générale, disait à Lise qu’il faudrait peut-être envisager leur départ : « Ah ! non, par exemple ! protesta-t-elle. Voyons, mon ami, tu n’y songes pas sérieusement ? Pendant que Bernard risque sa vie pour nous défendre, nous prendrions la fuite ! Il ne manquerait plus que ça !
— C’est bien vrai, répondit Claude en l’embrassant. Tu as raison, ma courageuse.
— Ce n’est pas du courage, je ne me sens pas si rassurée. C’est de l’honnêteté, voilà tout.
— Oui ? Tu ne sais pas, mon cœur, je vais t’avouer une chose dont tu n’as pas idée, mais pas la moindre, j’imagine.
— Ah ! vraiment ?
— Oui, dit-il en la serrant plus fort. C’est que chaque jour je t’admire et je t’aime davantage, mon petit poulet.
— Sais-tu que c’est très inquiétant ? Toute cette passion augmentant sans cesse, cela fera explosion, un jour. » Puis, abandonnant le badinage : « Mon ami ! Je t’aime, je t’aime tant ! »
Desmoulins arriva là-dessus, il venait chercher Claude. Quelques-uns des conjurés de Charenton étaient réunis avec les cinq membres du directoire secret des fédérés. Ils prétendaient déclencher l’insurrection sans plus attendre. « Il… il faut les en empêcher, dit Camille. Ce sont des… des brouillons qui vont tout perdre. On ne doit pas agir sans Danton. Viens leur parler, ils t’écouteront peut-être, toi. J’ai un fiacre en bas. » Le conciliabule se tenait au Cadran-Bleu, un petit cabaret sur le boulevard de la Bastille. En route, Camille apprit à Claude que l’Assemblée venait de refuser la destitution de La Fayette demandée par Brissot. « À… à la sortie, les députés feuillants ont été pris à partie par le peuple, insultés, menacés. On leur a même un peu caressé les côtes. C’est… c’est ce refus qui incite Carra, Legendre, Santerre à marcher. Il n’y a plus un instant à perdre, disent-ils, mais aucun d’eux n’est capable de mener fermement l’affaire. »
Il n’était pas loin de huit heures. Le temps très beau livrait de nouveau Paris aux ardeurs de la canicule, tempérées toutefois par un air léger qui venait du nord-est. Au soleil couchant, il faisait bon sous les arbres du boulevard où les gens prenaient le frais, d’aucuns la pique en main. Lorsque Claude et Camille arrivèrent au Cadran-Bleu, les conjurés se disposaient à partir. « Il nous faut les avis d’Antoine, expliqua Legendre. Nous allons chez lui. » Antoine de Metz, ancien collègue de Claude à la Constituante, qui présidait le club la veille de la tragédie du Champ de Mars, avait été l’un des premiers à organiser le comité central des fédérés aux Jacobins. Il habitait la même maison que Robespierre,
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