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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Robespierre, en dessin, en peinture, en gravure, en pierre, en bois, en plâtre, en porcelaine, en bronze, qui tapissent les murs, couvrent des tablettes, le dessus des cheminées. Il y aurait de quoi former un bataillon de gardes nationaux. Comment un homme peut-il vivre au milieu de son propre musée ?… Et quel homme ! Nous l’avons écouté nous parler de lui, de lui, de lui, nous dire comment il a fait sortir la Révolution des États généraux, quelle accélération il a donnée à ses mouvements, enfin que l’on doit, dans la crise actuelle, investir d’une omnipotence populaire un personnage recommandé par son caractère, etc. Sous-entendu, cet omnipotent ne saurait être que lui-même. À quoi nous avons répondu carrément : Nous ne voulons pas plus d’un dictateur que d’un roi. Là-dessus, séparation assez fraîche. En sortant, Panis m’a pris à part pour m’expliquer que je n’avais pas compris, il s’agissait d’une autorité temporaire et insurrectionnelle à seule fin de diriger et sauver le peuple. Ce qu’à mon avis Robespierre est parfaitement incapable de faire. »
    Lise avait souri à ce tableau. « Vous avez raison, dit Claude. La dictature à laquelle Robespierre aspire, c’est seulement celle de l’opinion. Il ambitionne de voir régner souverainement ses idées personnelles, sa parole. Quant au reste, il ne songe assurément pas à prendre la tête d’une insurrection. Il n’a jamais participé à un mouvement et n’y participera jamais.
    — C’est tout bonnement un poltron, dit M me  Roland. Il vit dans les transes. Rappelez-vous sa couardise, le jour de la fuite du Roi : il larmoyait dans le sein de Pétion. Et le jour du Champ de Mars ! Je n’ai jamais vu un homme avoir si peur. Vous pouvez tenir pour certain qu’au moindre tumulte il se terrera. »
    Brissot, survenant avec sa bonne femme, entendit ces mots. « Du tumulte ! se récria-t-il. Pourquoi du tumulte ? Il n’en faut pas. L’Assemblée votera la déchéance, je vous le déclare. Ce sera fait dans les formes légales.
    — Je voudrais vous croire, dit Vergniaud. Néanmoins j’en doute.
    — Non, non, répliqua Brissot en secouant d’un air mécontent sa maigre tête de quaker. C’est une chose certaine, nous n’allons pas la compromettre. Vous entendez, jeune homme ? ajouta-t-il en se tournant vers Barbaroux, ne nous faites pas courir les chances d’un combat où nous pourrions tout perdre.
    — J’entends, et je vous réponds que l’insurrection bouge déjà. Elle éclatera d’ici un, deux jours, tout le monde sait cela.
    — C’est ce que nous verrons ! » dit Brissot, sèchement.
    Le lendemain, de bonne heure, il se rendit, affairé et tranchant, aux Jacobins où le directoire insurrectionnel siégeait en permanence dans un bâtiment de la cour conventuelle. Il y avait là le grand vicaire Chabot et Merlin de Thionville. « Je ne veux pas de mouvements leur déclara Brissot. Avec les députés du Midi nous avons résolu la déchéance. Une majorité est assurée au Manège, il faut attendre le vote. » À quoi Chabot répondit : « Vous prenez des vessies pour des lanternes, mon pauvre Brissot. Il n’y a rien à espérer d’une assemblée qui vient d’absoudre le scélérat La Fayette, votre ancien ami. Les miens et moi n’avons pas confiance en vous, s’il faut vous le dire clairement. Ainsi le tocsin sonnera ce soir au faubourg, que cela vous plaise ou non.
    — Vous aurez donc toujours mauvaise tête, Chabot ! Prenez garde, je m’emploierai contre vous, s’il le faut. Je vous ferai arrêter.
    — Vous serez arrêté vous-même, et bien avant. »

XII
    Danton était arrivé, ce matin même, à l’aube. Desmoulins le dit à Claude en venant l’inviter, ainsi que Lise, à dîner tout à l’heure. Lucile rentrée de l’Isle-Adam, ils recevaient ce jeudi les chefs marseillais. Claude l’emmena sur le balcon pour lui montrer les Tuileries. Le Château savait bien ce qui se préparait, il se mettait en défense. Depuis plusieurs jours, Claude et Lise avaient vu amener par chariots d’épaisses planches avec lesquelles on barricadait les fenêtres, au rez-de-chaussée, en ménageant des meurtrières. On renforçait aussi les petits bâtiments qui bordaient, du côté de la cour des Suisses, l’intérieur de la Cour royale. Celle-ci à présent pouvait être entièrement battue par des feux croisés. Une troupe qui franchirait le portail se trouverait, sans

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