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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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s’inquiéter ainsi. Personne ne risque rien, pour la bonne raison que tout mouvement est impossible.
    — Oh ! si, si, il se fera, je le sens bien », affirma Lucile dont l’énervement croissait et qui riait comme Gabrielle pleurait tout à l’heure.
    « Mais peut-on rire de la sorte ! s’exclama celle-ci, exaspérée. Ne voyez-vous pas que votre mari et le mien risquent leur vie ?
    — Hélas ! cela me présage sans doute que je verserai des larmes bientôt. »
    Danton était aux Cordeliers où Camille et Claude le trouvèrent en train de haranguer les clubistes, les sectionnaires, les Marseillais, pêle-mêle sur les bancs en amphithéâtre dans la ci-devant chapelle, basse, lourdement voûtée. Les baies en ogives laissaient entrer d’un côté la faible lumière du cloître, de l’autre le grand soleil du jardin. Derrière le bureau du président, deux poignards surmontaient au mur le tableau de la Déclaration des Droits, encadré par les bustes, blancs et poussiéreux, de Brutus et du légendaire patriote Guillaume Tell. En face, ceux d’Helvétius et de Rousseau leur faisaient pendant derrière la tribune des orateurs. De grosses chaînes rouillées, provenant, disait-on, des cachots de la Bastille – en réalité, Legendre les avait achetées sur le quai de la Ferraille –, formaient de sinistres festons au-dessus de ces bustes. Le club n’étant pas en séance, Danton n’avait pas pris la peine de monter à la tribune. Debout devant sa table de président et la martelant de son gros poing, il remplissait l’enceinte avec sa voix grondante. Il ne ressemblait plus au Danton, mélancolique et anxieux, de dimanche matin. Il avait touché la terre. Il revenait d’Arcis plus solide, plus aventureux que jamais. Formidable, il tonnait, rappelant les crimes de la Cour, les paroles trompeuses du pouvoir exécutif, ses hypocrites promesses toujours démenties par ses actes, enfin ses machinations évidentes pour amener l’étranger. « Peuple, tu ne peux plus recourir qu’à toi-même. La Constitution est insuffisante et l’Assemblée a eu le front de blanchir le scélérat La Fayette, il ne reste donc que vous pour vous sauver. Hâtez-vous ! Cette nuit, des satellites cachés dans le Château doivent faire une sortie sur le peuple et l’égorger avant de quitter Paris pour rejoindre Coblentz. Sauvez-vous ! Sauvez-vous ! Aux armes, citoyens ! »
    Les Marseillais enchaînèrent avec leur refrain que tout le monde reprit, puis la foule brûlante se précipita dehors en chantant, en criant : Aux armes ! Des Cordeliers et des Cordelières, dont les plus excités étaient Théroigne et la petite M me  Robert, la pétitionnaire du Champ de Mars, entouraient leur président qui déclarait : « Cette fois, il ne s’agit plus d’une promenade civique, comme au 20 juin, il faut pousser jusqu’au bout. » Fournier l’Américain, ivre de violence, criait qu’il fallait sur-le-champ aller couper les six cents têtes des conspirateurs réfugiés dans le repaire royal et les porter au Manège en déclarant : Voilà vos chefs-d’œuvre, législateurs ! Chaumette s’efforçait de le calmer. « Patience, mon ami ! nous irons à l’Assemblée demain matin. »
    Un homme en gilet, suant sous son bonnet de feutre rouge, entra, escorté de sans-culottes criards. La section des Quinze-Vingts, annonça-t-il, venait de décréter que si l’Assemblée ne prononçait pas immédiatement la déchéance, on attaquerait les Tuileries.
    « Mais d’où vient cette fable qu’on veuille nous égorger ? demanda Claude à Danton dans le brouhaha. La Cour a pris ses précautions pour se défendre, non pour attaquer.
    — Qu’en sais-tu ? Elle a ses Suisses, sa garde, ses chevaliers du poignard, son Club français. Elle n’attend qu’une occasion de les lancer sur nous. Et puis qu’importe ! Il me faut des lauriers ou la mort. » Et, se retournant vers les autres : « Demain, mes amis, le peuple français sera victorieux ou je serai mort. » On l’acclama follement. Dubon était là ; il aurait dû, comme Claude, se trouver en ce moment dans son cabinet, au District. Qui eût songé aujourd’hui à la routine, aux affaires ? Tout le monde se sentait hors de soi. Le brave Dubon lui-même cédait à la surexcitation générale. « Voilà le moment de la grande révolution, dit-il. Il faut la faire, et tout sera enfin achevé. » La contagion de l’énervement finissait par gagner

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