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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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était envahi. Des gens en sueur allaient, venaient, réclamant le maître de maison. Fréron leur répondait avec lassitude que l’on ne savait pas où il se trouvait. Ils laissaient des messages. Dans le grand salon au papier arabesque, aux sièges encore couverts des housses que Gabrielle-Antoinette n’avait pas ôtées en rentrant de la campagne, la petite M me  Robert s’impatientait. Pétulante, avec trop de rouge aux joues, coiffée d’un vaste chapeau empanaché de plumes, elle dépensait sa vivacité en soupirs, en interjections, en battements de pied. Cette affaire n’allait-elle pas commencer ! Qu’attendait Danton ? Le tocsin ne sonnerait-il pas !… Elle ne redoutait rien, elle, sauf que ne se fît point « cette affaire » dont elle escomptait, avec la république manquée au Champ de Mars, une place pour le gros Robert à figure de chanoine. Il s’efforçait de calmer sa piaffante épouse. Elle alla soulever les rideaux blancs, à travers lesquels on voyait s’assombrir les façades des maisons à pignons, dans la rue des Cordeliers. Les fenêtres s’illuminaient une à une. Fréron rentra dans le salon que la nuit emplissait et s’assit lourdement. « Je suis las de vivre, dit-il. Combattons, je périrai avec bonheur. » Lucile, épuisée d’énervement, s’était retirée dans l’obscurité du petit salon pour s’étendre sur le canapé. Gabrielle, aidée par la servante Marie, allumait les lustres, les flambeaux, et, frémissante, tendait l’oreille à chaque son. Le bruit rythmé d’une patrouille en marche montait de la rue. Robert faisait craquer ses doigts, sa femme tambourinait sur les vitres. L’attente, l’anxiété, l’inaction devenaient intolérables. Comme Fréron retournait dans l’antichambre répondre à des inconnus qui demandaient encore Danton, Claude adressa un signe à Lise. « Il nous faut rentrer chez nous, dit-elle.
    — Vous serez bien près du Château si quelque chose arrive ! se récria la bonne Gabrielle. Demeurez donc !
    — Sans doute ne se passera-t-il rien cette nuit, cela semble probable. »
    On l’ignorait, mais tout valait mieux que de rester ici à s’énerver de la sorte. Et puis, là-bas, peut-être surprendrait-on quelque indice des intentions de la Cour.
    La rue, le quartier étaient fiévreux. Le croisement des lumières projetées par les fenêtres et les portes ouvertes montrait des groupes animés, de petits rassemblements d’hommes en armes, des gens qui ne se décidaient pas à se mettre au lit. Sur le quai cependant, la nuit semblait toute paisible. Par-dessus la Seine, le ciel, où subsistait une confuse clarté, commençait de se piqueter d’étoiles. Celle du berger brillait, très bleue, sur le palais Bourbon. Dix heures sonnaient. Les réverbères encore pâles éclairaient le Paris des beaux soirs d’été, avec ses voitures, ses passants, ses concierges prenant le frais en famille devant leurs porches, ses couples amoureux, sa batellerie obscure au port Saint-Nicolas. Mais, parmi ces passants, figuraient nombre de sans-culottes pareils à ceux qui avaient déferlé tout à l’heure du faubourg Saint-Marceau devant le Théâtre-Français. Une partie de ceux-là s’étaient sans doute arrêtés aux Cordeliers. Quelques-uns, et d’autres venant d’un peu partout, se dirigeaient vers les Tuileries par petits paquets. Lise et Claude prirent le Pont-Royal. La double file de ses lanternes et celles du quai, faisaient luire partout ici des baïonnettes : sur le pont même où les postes ordinaires avaient été renforcés considérablement ; aux guichets du Louvre, que l’on gardait avec du canon. Les sentinelles s’alignaient jusqu’à la porte du jardin, à l’angle du pavillon de Flore, sous les appartements occupés en bas par M me  de Lam-balle, à l’étage par Madame Élisabeth avec ses oiseaux, ses fleurs, ses métiers à broder, ses prie-Dieu.
    Longeant la terrasse du Bord de l’Eau, les deux époux arrivèrent à la place LouisXV, blafarde sous la lune qui se levait. Le pont LouisXVI, tout neuf, n’était pas défendu. En revanche, au petit pont, tournant par-dessus le fossé qui coupait les Tuileries de la place, un bataillon veillait avec de l’artillerie. Rue Saint-Honoré, il y avait un détachement dans l’allée de l’Orangerie, et du canon devant l’entrée de l’Assemblée : au portail des Feuillants. En face, on distinguait tout un rassemblement militaire sur la place Vendôme.

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