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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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« pouvoir exécutif », de lancer dans Paris des colonnes de satellites, comme disait Danton. Cette cour était assez vaste pour attirer toutes les forces du peuple, et pour que l’on y noyât dans des flots de sang la Révolution tout entière. Les royalistes n’en auraient jamais plus parfaite occasion. Ici, la liberté pouvait trouver demain son tombeau.
    Tout de même ! qu’un Fournier, un Lazouski, un Wester-mann, un Santerre ne se rendissent point compte de ce risque effrayant, bon, mais un Carnot ! Ou, plus exactement, deux Carnot, car Feulens était, comme son frère, capitaine du génie, et tous deux, aux Quinze-Vingts, avaient résolu l’attaque. Ils ne l’avaient assurément pas fait à la légère. « Allons voir où en sont les choses cour du Commerce », dit Claude, incapable de rester en place ici, où, pour l’instant, il ne se passait rien. Simplement, on augmentait assez considérablement, semblait-il, les effectifs des postes tenus par la garde nationale sur le Carrousel. Une petite compagnie de gendarmes à pied prenait position devant l’escalier de la Reine, dans la cour des Princes. Des estafettes, sortant par le vaste porche du pavillon de l’Horloge, sautaient à cheval et partaient au galop. Autour de la place, on voyait çà et là des gens à leurs fenêtres, et, dans la rue, des promeneurs, des curieux qui venaient regarder le Château.
    La demie de six heures sonnait lorsque Lise et Claude, entrant cour du Commerce, prirent à gauche sous la voûte le large escalier peu clair. Dans l’appartement, ils ne trouvèrent que Fréron. « Danton et Camille, dit-il, sont venus souper en hâte puis repartis aussitôt, d’après ce que m’a raconté Marie Fouge-rot. Leurs femmes sont allées raccompagner M me  Charpentier à laquelle on a confié le petit Antoine. Moi, j’attends. » Il se rassit sur le canapé, l’air sombre. Il était follement amoureux de Lucile, et l’on colportait à leur sujet des propos très désobligeants pour Desmoulins. Claude, qui n’aimait toujours pas davantage le bon lapin, comme Lucile surnommait affectueusement Fréron, se retira au bout d’un instant, avec Lise. « Nous pourrions faire un tour chez les Roland », proposa-t-il.
    En traversant la place du Théâtre-Français, ils s’entendirent héler. Lucile et Gabrielle-Antoinette se trouvaient là sur un des bancs disposés autour de la petite place. « Nous nous sentions fatiguées, dirent-elles. Il fait bon, ici. » La soirée était tiède, le soleil de sept heures ne touchait plus que les toits. Des gens entraient au café, sortaient, parlaient fort. Les murs se renvoyaient les voix. Un groupe de patriotes en bras de chemise ou carmagnole ouverte, pantalon de toile rayée, passa rapidement, armé de piques. Puis on entendit un roulement de fers. Toute une cavalerie déboucha, venant de la direction du Luxembourg et descendant la rue du Théâtre-Français. Des gendarmes à cheval. Rang après rang, ils avançaient au pas, dans un martèlement que répercutait le sol, un tintement de gourmettes, un cliquetis d’acier, des hennissements. Le défilé n’en finissait plus, ils étaient au moins cinq ou six cents, massifs dans l’uniforme bleu que le soir fonçait, avec leurs hautes bottes noires, leurs buffleteries jaunes, leurs grands sabres, leurs lourds chevaux. Les trois femmes et Claude lui-même en restaient impressionnés, quand une nouvelle rumeur leur parvint, irrégulière, grondante. Tout à coup, la place fut submergée par une cohue d’hommes, de femmes, d’adolescents pêle-mêle : une vague où la multitude des visages formait comme une écume blême, un magma haillonneux, hérissé de piques, de fourches, de faux redressées, de sabres, de bâtons, qui se déversait en hurlant des chants confus, mêlant le Ça ira et la Marseillaise à des couplets obscènes contre le ménage royal.
    « Allons-nous-en ! s’écria la blonde Lucile. Rentrons, j’ai peur.
    — Qu’avez-vous donc fait de votre courage ? lui dit Gabrielle Danton. C’est vous qui tremblez maintenant. »
    Il n’y avait rien à craindre de ces sans-culottes quand on l’était soi-même, comme le déclara Claude. Néanmoins Lucile à son tour s’affolait. « Rentrons vite, le tocsin va sonner. Le tocsin va sonner assurément. Rentrons chez vous, nous y trouverons peut-être votre mari et le mien. »
    Cour du Commerce, point de Danton ni de Desmoulins. L’appartement, portes ouvertes,

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