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Les autels de la peur

Les autels de la peur

Titel: Les autels de la peur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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La rue Saint-Honoré demeurait, à cette heure, aussi animée qu’au jour. Les murs bas des Capucins laissaient voir le premier étage du cloître avec toutes ses fenêtres éclairées ainsi que celles du Manège où le corps législatif siégeait en permanence. Un peu plus haut et de l’autre côté, les Jacobins étaient obscurs et clos. Presque en face du canon des Feuillants, le club eût été, ce soir, un rendez-vous trop dangereux. Claude ne songea pas même à chercher Robespierre : il devait se tenir à l’abri. Le rappel battait au Palais-Royal où les bataillons du quartier se rassemblaient, assez mollement semblait-il, autour de leurs drapeaux. La cavalerie que l’on avait vue défiler par la rue du Théâtre-Français se tenait en bataille à présent sur la place du Louvre.
    Fatigués par tant d’allées et venues durant ce jour, Claude et Lise n’allèrent pas plus loin. Chez eux, ils trouvèrent la grosse Margot sur le balcon. Tout le monde, partout, était aux fenêtres. Les silhouettes se découpaient en sombre sur le fond des intérieurs clairs, ou bien en taches pâles dans des cadres obscurs. Presque tout le Carrousel rayonnait de clartés provenant des maisons, du Château dont la façade brillant par ses cent croisées fermait la place, au fond, comme une herse de lumières. En outre, on allumait des lampions pour faciliter la défense. Le vaste quadrilatère illuminé, où les habits rouges des Suisses, les uniformes bleu roi de la garde nationale, prenaient une intensité de couleurs exaltées par les oppositions de clair-obscur, ressemblait à la scène d’un théâtre, pleine de mouvements, de bruits. La voiture du maire, bien reconnaissable à ses armoiries, arriva par les guichets et gagna le pavillon de l’Horloge. Les bataillons rejoignaient un à un. Les premiers naturellement venaient du voisinage. C’étaient les anciens prétoriens de La Fayette, riches bourgeois du genre Naurissane, monarchistes, feuillants, déjà maintes fois vainqueurs de la populace. Ils comptaient bien la balayer encore. Les bataillons suivants, qui sortaient du faubourg Saint-Germain écrémé par l’émigration, et des districts populaires ou petits-bourgeois des Porcherons, des Gravilliers, des Halles, bien que portant le même uniforme, appartenaient à une espèce fort différente. Ils concevaient mal qu’on les appelât pour protéger une Cour ennemie du peuple. Ils obéissaient au tambour, mais ils entraient au Carrousel en clamant : « Vive la nation ! Vive Pétion ! » Leurs prédécesseurs et les royalistes retranchés dans le château répondaient : « Vive le Roi ! » Ces cris se fondaient dans la rumeur montant de la place, de tout le quartier dont le remuement mettait dans la nuit un bruit de ressac. Il croissait d’instant en instant avec l’agitation des troupes et du peuple. Les gardes nationaux patriotes en venaient aux injures et aux menaces avec les gardes nationaux monarchistes. Des remous se produisaient parmi les masses d’uniformes. On voyait des compagnies entières se dégager, sortir de la Cour royale, crosse en l’air, et se retirer dans l’ombre vers les guichets du Louvre. Les canonniers, presque tous sans-culottes – car les aristocrates, méprisant cette arme, la laissaient aux forgerons, aux serruriers, aux ouvriers mécaniciens – fraternisaient avec les fantassins à piques. « Regarde là ! regarde ! » dit Claude. Une section était en train d’emmener deux pièces, avec l’aide de leurs servants. Des grenadiers accoururent en force, hués par le peuple qui investissait peu à peu la place. Il s’infiltrait. Des hommes, des adolescents, des femmes même, se hissant les uns les autres, grimpaient sur les toits des petits bâtiments bordant l’entrée de la cour, et de là insultaient les Suisses.
    On entendait ces clameurs, au Château. Pétion était là, ainsi que Rœderer, dans la salle du Conseil, avec le Roi en habit violet, la Reine, Madame Élisabeth et les ministres. Mandé par ceux-ci, Pétion n’avait pas osé s’abstenir, mais il se sentait fort mal à l’aise. Il faisait ici figure d’otage, lui semblait-il. Le commandant-général Mandat lui demandait avec vivacité pourquoi les officiers municipaux avaient refusé de la poudre aux défenseurs des Tuileries. « Vous n’étiez pas en règle pour en recevoir, répondit-il. D’ailleurs, il vous en reste des précédentes fournitures.
    — La plupart de mes hommes ont

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