Les Aventures de Nigel
dans la poche de Votre Seigneurie qu’autrefois.
– Ravi et fâché ! Vous me donnez des énigmes à deviner, Richie.
– Vous en aurez bientôt le mot, milord. Je viens prendre les ordres de Votre Seigneurie pour l’Écosse.
– Pour l’Écosse ! êtes-vous fou ? ne pouvez-vous attendre pour y retourner avec moi ?
– Je ne pourrais plus guère vous être utile, milord, puisque vous allez prendre un page et un laquais.
– Quoi donc ! sot jaloux que vous êtes, ne voyez-vous pas que votre fardeau en deviendra plus léger ? Allez déjeuner, et buvez double dose d’ale pour vous chasser cette absurde fantaisie de la tête. Je me fâcherais sérieusement contre vous, si je ne me souvenais que vous m’êtes resté fidèlement attaché pendant l’adversité.
– L’adversité ne nous aurait jamais séparés, milord, dit Richie. Il me semble qu’au pis-aller j’aurais jeûné aussi bravement que Votre Seigneurie, et même encore mieux, y étant en quelque sorte accoutumé ; car quoique je sois né dans l’étal d’un boucher, je n’ai pas toujours été nourri de tranches de bœuf.
– Que signifie tout ce bavardage ? s’écria Nigel ; n’avez-vous d’autre but que de me faire perdre patience ? Vous savez bien que quand j’aurais vingt domestiques à mon service, il n’en existerait pas un seul que je préférasse au fidèle serviteur qui a été mon compagnon d’infortune. Mais il est tout-à-fait déraisonnable de venir me tourmenter de vos graves caprices.
– En déclarant que vous avez de l’attachement pour moi, milord, vous faites une chose qui vous est honorable, et j’ose dire humblement que je n’en suis pas tout-à-fait indigne. Et cependant il faut que nous nous séparions.
– Et, de par le ciel ! quelle en est la cause, si nous sommes mutuellement satisfaits l’un de l’autre ?
– La manière dont Votre Seigneurie emploie son temps, milord, est telle que je ne puis la sanctionner par ma présence.
– Que voulez-vous dire, drôle ? reprit son maître d’un ton courroucé.
– Sauf respect, milord, ce n’est pas jouer franc jeu que de vous fâcher quand je parle comme quand je garde le silence. Si vous voulez écouter avec patience les motifs de mon départ, il peut se faire que vous vous en trouviez bien dans ce monde et dans l’autre ; sinon, permettez-moi de partir en silence, et qu’il n’en soit plus question.
– Parlez, expliquez-vous ; rappelez-vous seulement à qui vous parlez.
– Je parle avec toute humilité, milord, répondit Moniplies avec un air de plus d’importance et de dignité que jamais ; mais croyez-vous que cette vie que vous menez, en jouant aux dés et aux cartes, en courant les tavernes et les spectacles, convienne à Votre Seigneurie ? Quant à moi, je suis sûr qu’elle ne me convient pas.
– Êtes-vous donc devenu précisien ou puritain, fou que vous êtes ? lui demanda lord Glenvarloch en riant ; mais, se trouvant partagé entre le sentiment de la honte et celui de la colère, ce ne fut pas sans quelque peine qu’il put donner à ses traits une expression riante.
– Je comprends ce que veut dire cette question, milord. Il est possible que je sois un peu précisien, et je voudrais qu’il plût au ciel que je fusse digne de ce nom. Mais laissons cela de côté. J’ai rempli mes devoirs de serviteur autant que le permet ma conscience écossaise. Quand je me trouve dans un pays étranger, je puis parler en faveur de mon maître et de mon pays, quand même je devrais laisser la pure vérité quelque part derrière moi. Je donnerais volontiers une bonne taloche à quiconque parlerait mal de l’un ou de l’autre, et je m’exposerais même à en recevoir une au besoin ; mais les maisons de jeu, les tavernes et les théâtres ne sont pas mon élément : je ne puis y trouver l’air qu’il me faut pour vivre. – Et quand j’entends dire que Votre Seigneurie a gagné l’argent de quelque pauvre diable qui peut en avoir grand besoin… Sur mon ame ! si vous en étiez réduit là, j’aimerais mieux sauter par-dessus une haie avec Votre Seigneurie, et crier halte-là ! au premier fermier qui reviendrait du marché de Smithfield avec le prix de ses veaux d’Essex dans son sac de cuir.
– Quelle folie ! s’écria Nigel, qui n’était pourtant pas sourd aux reproches que lui faisait sa conscience ; je ne joue jamais que de petites sommes.
– Sans doute, milord, reprit l’inflexible
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