Les Aventures de Nigel
l’emporter sur la mode plus frivole adoptée en France à la cour de Henri IV.
Tous ceux qui composaient cette troupe splendide avaient la tête nue, à l’exception du prince de Galles, qui fut depuis le plus infortuné des monarques anglais. Il s’avançait le premier, portant ses longs cheveux châtains en tresses bouclées ; un chapeau à l’espagnole, surmonté d’une belle plume d’autruche, ornait sa tête, et on lisait sur son visage l’expression d’une mélancolie anticipée. À sa droite était le duc de Buckingham, dont l’air imposant et gracieux en même temps laissait presque dans l’ombre la personne et la majesté du prince qu’il suivait. Les regards , les mouvemens et les gestes du grand favori étaient si composés, et se conformaient si bien à toutes les règles d’étiquette que prescrivait sa situation, qu’ils formaient un contraste fortement prononcé avec la frivolité et la gaieté presque folle qui lui avaient valu les bonnes grâces de son cher papa et compère le roi Jacques. Il faut convenir que le destin de ce courtisan accompli était bien singulier ; car étant en même temps le favori en pied d’un père et d’un fils dont les manières étaient si différentes, il était obligé, pour plaire au jeune prince, de courber sous les lois du respect et de la gravité cette humeur libre et enjouée qui faisait le charme du vieux monarque.
Buckingham connaissait parfaitement la différence qui existait entre le caractère de Jacques et celui de Charles, et il ne trouvait pas difficile de se conduire de manière à se maintenir dans la plus haute faveur auprès de l’un et auprès de l’autre. Il est vrai qu’on a supposé que le duc, après s’être entièrement rendu maître de l’esprit de Charles, ne conserva l’affection du père que par la tyrannie de l’habitude ; et que si Jacques avait pu se déterminer à prendre une résolution vigoureuse, surtout dans les dernières années de sa vie, il est assez vraisemblable qu’il aurait disgracié Buckingham, en l’éloignant de ses conseils. Mais s’il pensa jamais à effectuer un tel changement, il était trop timide, et trop habitué à l’influence que le duc avait long-temps exercée sur lui, pour avoir la force de mettre ce projet à exécution. Dans tous les cas, il est certain que Buckingham, qui survécut au maître qui l’avait élevé, offrit le rare exemple d’un favori dont le crédit tout-puissant n’essuya aucune éclipse pendant le cours de deux règnes, jusqu’à ce qu’il s’éteignît dans son sang, sous le poignard de l’assassin Felton {80} .
Terminons cette digression. – Le prince avançait avec sa suite ; il se trouva bientôt près de l’endroit où lord Glenvarloch et sir Mungo s’étaient mis à l’écart pour lui livrer passage et lui rendre les marques ordinaires de respect. Nigel put remarquer alors que lord Dalgarno marchait immédiatement derrière le duc, et il crut même le voir dire quelques mots à l’oreille du favori, tout en avançant. Quoi qu’il en soit, quelque chose parut diriger l’attention du prince et celle du duc sur Nigel, car ils tournèrent tous deux la tête de son côté, et le regardèrent avec attention. Le regard du prince était grave et mélancolique, mêlé d’une expression de sévérité, celui de Buckingham témoignait une sorte de triomphe méprisant. Lord Dalgarno ne parut pas apercevoir son ami, peut-être parce que, les rayons du soleil parvenant à lui du côté de l’allée où était Nigel, Malcolm était obligé de lever son chapeau pour s’en préserver les yeux.
Lorsque le prince passa, lord Glenvarloch et sir Mungo le saluèrent comme le respect l’exigeait, et Charles, leur ayant rendu leur salut avec cet air de gravité et de cérémonial qui accorde à chacun ce qui lui est dû, et rien au-delà, fit signe à sir Mungo de s’approcher. Celui-ci s’avança clopin-clopant, et préluda par des excuses qu’il termina en arrivant près du prince, et dont le but était de lui témoigner son regret sur son infirmité, qui ne lui permettait pas de se rendre plus vite à ses ordres. Sir Mungo écouta d’un air attentif quelques questions que Charles lui fit d’un ton si bas, qu’il aurait certainement eu un accès de surdité si elles lui eussent été adressées par tout autre que l’héritier présomptif du trône. Après une minute de conversation, le prince jeta encore sur Nigel un de ces regards fixes si
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