Les Aventures de Nigel
étions Pylade et Oreste, – une seconde édition de Damon et Pythias, – Thésée et Pyrithous tout au moins. Vous vous êtes trompé ; vous avez donné le nom d’amitié à ce qui n’était de ma part que bonté, pure compassion pour un ignorant provincial fraîchement débarqué de son pays : je me rendais aussi aux désirs de mon père, qui m’avait engagé à vous faire connaître le monde ; mission fort pénible pour moi. Quant à votre réputation, milord, personne ne vous l’a faite ; vous ne la devez qu’à vous-même. Je vous ai introduit dans une maison où, comme partout, on trouve compagnie mélangée ; vous avez préféré la mauvaise, soit par goût, soit par habitude. Votre sainte horreur à la vue des dés et des cartes a dégénéré en résolution prudente de ne jouer qu’avec les personnes que vous étiez sûr de gagner, et seulement autant que la fortune vous favorisait. Personne ne peut long-temps agir ainsi sans se perdre de réputation ; et vous n’avez pas le droit de me reprocher de n’avoir pas démenti ce que vous savez vous-même être vrai. Souffrez que nous continuions notre chemin, milord ; et, si vous voulez de plus amples explications, prenez un autre temps et choisissez un autre lieu.
– Aucun temps, ne peut être plus convenable que le moment actuel, s’écria lord Glenvarloch, outré par le sang-froid de lord Dalgarno, et par la manière insultante dont il venait de se justifier ; aucun lieu n’est mieux approprié que celui où nous nous trouvons. Les membres de ma famille se sont toujours vengés d’une insulte à l’instant et sur le lieu où ils l’avaient reçue, fût-ce au pied du trône. – Lord Dalgarno, je vous accuse de fausseté et de trahison ; – défendez-vous. Et en même temps il tira son épée hors du fourreau.
– Perdez-vous la raison ? dit lord Dalgarno en reculant d’un pas ; nous sommes dans l’enceinte de la cour.
– Tant mieux ! répondit lord Glenvarloch ; je la purgerai d’un calomniateur et d’un lâche. Et, s’avançant sur lord Dalgarno, il le frappa du plat de son épée.
La querelle avait commencé à attirer l’attention, et l’on entendit en ce moment crier de toutes parts : – La paix ! la paix, au nom du roi ! Une épée nue dans le parc ! à la garde ! à la garde ! et au même instant la foule accourut de tous côtés vers le lieu où se passait cette altercation.
Lord Dalgarno, qui avait à demi tiré son épée quand il s’était senti frapper, la fit rentrer dans le fourreau dès qu’il vit la foule accourir, et, prenant le bras de sir Ewes Haldimund, il s’éloigna à la hâte, après avoir dit à lord Glenvarloch en le quittant :
– Vous paierez cher cette insulte. – Nous nous reverrons.
Un homme âgé, décemment vêtu, qui s’aperçut que Nigel restait à sa place, eut compassion de son air de jeunesse, s’approcha de lui, et lui dit : – Savez-vous bien que cette affaire est de la compétence de la chambre étoilée, jeune homme, et qu’elle peut vous coûter la main droite ? N’attendez pas l’arrivée des gardes et des constables ; fuyez bien vite, cachez-vous, sauvez-vous dans le sanctuaire de Whitefriars, jusqu’à ce que vous trouviez des amis, ou que vous puissiez quitter Londres.
L’avis n’était pas à négliger. Lord Glenvarloch crut devoir en profiter, et se hâta de prendre la route qui devait le conduire hors du Temple par le palais de Saint-James, qui était alors l’hôpital de Saint-James. Cependant le tumulte croissait derrière lui, et plusieurs officiers de paix de la maison du roi arrivèrent pour s’emparer de la personne du coupable. Heureusement pour Nigel il s’était répandu sur l’origine de la querelle un bruit qui rendit le peuple favorable à sa cause. On disait qu’un compagnon du duc de Buckingham avait insulté un homme étranger {82} , et que celui-ci s’était vengé en lui donnant des coups de bâton. Un favori, ou le compagnon d’un favori, est toujours odieux à John Bull, qui d’ailleurs a toujours une sorte de partialité pour ceux qui, comme le disent les hommes de loi, procèdent par voie de fait {83} . Or ces deux préjugés étaient en faveur de Nigel. Les officiers qui venaient pour l’arrêter ne purent donc obtenir des spectateurs aucun renseignement ni sur son signalement ni sur le chemin qu’il avait pris, et ce fut à cette circonstance qu’il dut sa sûreté en ce moment.
Les discours que lord
Weitere Kostenlose Bücher