Les Aventures de Nigel
Glenvarloch entendait tenir dans la foule, à mesure qu’il avançait dans sa route pour sortir du parc, étaient bien suffisans pour lui faire sentir que son impatience et son ressentiment l’avaient placé dans une situation très-dangereuse. Il n’ignorait pas combien les jugemens de la chambre étoilée étaient sévères, et combien ses formes étaient arbitraires, surtout dans le cas de violation de privilège, ce qui la rendait un objet de terreur générale. Il savait que, sous le règne d’Élisabeth, un individu avait été condamné à avoir le poing coupé pour un délit du même genre que celui qu’il venait de commettre, et que cette sentence avait été exécutée. Il faisait aussi la réflexion, bien pénible sans doute, que la querelle qu’il venait d’avoir avec lord Dalgarno devait lui faire perdre l’amitié et les bons offices du comte d’Huntinglen son père et de lady Blackchester sa sœur, qui étaient presque les seules personnes de considération dont il pût attendre quelque protection ; tandis que tous les bruits calomnieux que l’on avait fait circuler contre lui devaient ajouter un poids considérable, à son désavantage, dans un cas où l’opinion dépendait beaucoup de la réputation de l’accusé. À l’imagination d’un jeune homme, l’idée d’une peine telle que la mutilation semble plus épouvantable que la mort même, et chaque mot qu’il entendait dans les groupes qu’il rencontrait, parmi lesquels il se mêlait, ou près desquels il passait, lui annonçait que telle était la peine réservée à son délit. Il n’osait doubler le pas, de peur de se rendre suspect ; et plus d’une fois il vit les officiers de justice si près de lui, que son pouls battait comme s’il avait eu le bras déjà placé sur le bloc fatal. Enfin il se vit hors du parc, et il eut un peu plus de loisir pour réfléchir sur ce qu’il avait à faire.
Whitefriars, édifice contigu au Temple, était alors connu sous le sobriquet d’Alsace, et jouissait du privilège qui lui fut conservé pendant le siècle suivant d’être un sanctuaire inviolable où nul officier de justice ne pouvait pénétrer sans un ordre du lord grand justicier ou des lords du conseil privé. C’était le refuge d’une foule de misérables de toute espèce, de banqueroutiers, de joueurs ruinés, de dissipateurs incorrigibles, de duellistes de profession, d’assassins et de débauchés, tous ligués ensemble pour soutenir les immunités du lieu qui leur servait d’asile. Il était même difficile et dangereux pour les officiers de justice chargés de mettre à exécution les mandats d’arrêt décernés par les deux hautes autorités qui en avaient le droit, de se hasarder parmi des gens dont la sûreté était incompatible avec des mandats d’arrêt, quels qu’ils fussent. Lord Glenvarloch était instruit de tous ces détails, mais quelque odieux que lui parût ce lieu de refuge, il le regarda comme le seul qui, du moins pendant quelque temps, pût lui assurer une retraite et un asile contre les poursuites qui allaient être dirigées contre lui, jusqu’à ce qu’il trouvât le loisir de pourvoir à sa sûreté, où quelque moyen pour arranger cette affaire désagréable.
Cependant, tout en marchant à la hâte pour se réfugier dans ce sanctuaire, Nigel se reprochait vivement de s’être laissé entraîner par lord Dalgarno dans un séjour de dissipation, et ne s’accusait pas moins d’avoir cédé à un emportement qui le réduisait à chercher un asile dans le repaire avoué du crime, du vice et de la débauche.
– Dalgarno n’avait que trop raison en cela, pensait-il avec amertume ; je me suis fait moi-même une mauvaise réputation en suivant ses conseils insidieux, et en négligeant les avis salutaires auxquels j’aurais dû obéir avec soumission, et qui me faisaient un devoir de fuir jusqu’à l’approche du danger. Mais si je réussis à me tirer du dangereux labyrinthe dans lequel ma folie, mon inexpérience et la violence de mes passions m’ont égaré, je trouverai quelque moyen pour rendre tout son lustre à un nom qui n’a jamais été souillé que par la faute de celui qui le porte aujourd’hui.
Tout en formant cette sage résolution, lord Glenvarloch entra dans les allées du Temple, d’où une porte donnait dans Whitefriars ; et cette entrée étant la plus secrète, c’était par celle-là qu’il comptait se rendre dans le sanctuaire. En approchant de ce repaire
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