Les Aventures de Nigel
régulier, plus attentif à ses devoirs, que son camarade plus actif et plus alerte. Il n’était pas moins satisfait de l’attention particulière que Tunstall semblait disposé à donner aux principes abstraits des sciences relatives au métier qu’il était obligé d’apprendre, et dont les bornes s’étendaient chaque jour en proportion de l’accroissement de la science des mathématiques. Vincent était incomparablement au-dessus de son compagnon derrière le comptoir, dans tout ce qui concernait la pratique et la dextérité nécessaire pour travailler dans les branches purement mécaniques de son art ; et il le surpassait encore davantage dans tout ce qui avait rapport aux affaires commerciales de la boutique. Cependant leur maître avait coutume de dire que si Vincent était le plus habile pour l’exécution, Tunstall connaissait mieux les principes d’après lesquels on devait exécuter, et il reprochait quelquefois à celui-ci de connaître trop bien en quoi consistait l’excellence de la théorie pour se contenter jamais de la médiocrité en pratique.
Tunstall était aussi timide que studieux, et quoiqu’il fût parfaitement poli et obligeant, il semblait toujours ne pas se sentir à sa place quand il remplissait ses fonctions dans la boutique. Grand et bien fait, il avait les cheveux blonds, les traits réguliers, les yeux bleus et bien-fendus, le nez à la grecque, et une physionomie qui annonçait la bonne humeur et l’intelligence. Mais il y joignait une gravité qui ne paraissait pas convenir à son âge, et qui allait presque jusqu’à la tristesse. Il vivait au mieux avec son compagnon, et était toujours prêt à lui prêter main forte quand il le voyait engagé dans quelqu’une de ces escarmouches qui, comme nous l’avons déjà fait observer, troublaient à cette époque la paix de la cité de Londres. Mais quoiqu’il fût reconnu comme jouant mieux que personne du bâton à deux bouts, arme ordinaire des comtés du nord, et quoiqu’il eût reçu de la nature autant de vigueur que d’agilité, son intervention en de semblables querelles semblait toujours un objet de nécessité ; et comme il ne prenait jamais volontairement part aux disputes ni aux jeux des jeunes gens du voisinage, il occupait dans leur esprit une place moins distinguée que son brave et infatigable ami Jin Vin. Bien plus, sans l’intérêt que Vincent prenait à son camarade, et sans son intercession, il aurait couru quelques risques d’être entièrement exclu de la société des jeunes gens qui suivaient le même état, et qui l’appelaient par dérision le Cavaliero Cuddy et le noble Tunstall.
D’une autre part, ce jeune homme lui-même, privé de l’air vif dans lequel il avait été élevé, et ne pouvant prendre l’exercice auquel il avait été habitué autrefois lorsqu’il habitait la maison qui l’avait vu naître, perdait peu à peu la fraîcheur de son teint, et, sans montrer aucun symptôme direct de maladie, devenait chaque jour plus maigre et plus pâle. On pouvait remarquer en lui les apparences d’une santé languissante ; mais il ne faisait entendre aucune plainte, il n’avait aucune des habitudes des valétudinaires, si ce n’est une disposition à éviter la société, et à donner à l’étude le temps dont il pouvait disposer, plutôt que de partager les amusemens de ses compagnons. On ne le voyait même nullement enclin à fréquenter les théâtres, qui étaient alors le rendez-vous général des gens de sa condition, et où ils se battaient avec des pommes à demi mordues et des noix cassées, en faisant retentir la seconde galerie de leurs clameurs.
Tels étaient les deux jeunes gens qui reconnaissaient pour maître David Ramsay, et contre lesquels celui-ci s’impatientait du matin au soir, quand leur caractère se trouvait en opposition avec le sien ou arrêtait le cours tranquille et les profits de son commerce.
En somme, cependant, ils aimaient leur maître, qui lui-même doué d’un bon cœur, quoique distrait et fantasque, ne leur était guère moins attaché. Lorsqu’il avait fait une petite débauche, et qu’il se trouvait un peu échauffé par le vin, il avait coutume de se vanter, dans son dialecte du nord, – d’avoir deux braves garçons, des gaillards sur qui les dames de la cour ne manquaient jamais de jeter un coup d’œil quand elles venaient en carrosse à sa boutique, ou qu’elles faisaient une partie de plaisir dans la Cité. – Mais en
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