Les Aventures de Nigel
tête pendant plus d’un an après qu’il eût été pendu. Mais surtout, qu’il obtienne sa grâce ou non, Glenvarloch demeurera probablement à Londres, sa présence entretiendra le caprice de cette petite folle ; tandis que s’il s’échappe…
– Eh bien ! montrez-moi à quoi cela servira, dit Jenkin.
– S’il s’échappe, continua la dame Ursule en reprenant son argument, il faut qu’il renonce à la cour pour des années, sinon pour toujours ; et vous connaissez ce vieux proverbe :
Les absens ont toujours tort.
– Vrai, très vrai ! dit Jenkin ; c’est parler en oracle, très sage Ursule.
– Oui, oui, je savais bien que vous finiriez par entendre raison. Ainsi donc, quand le lord sera loin une bonne fois, qui sera le préféré, je vous prie, de la jolie Marguerite ? qui remplira le vide de son cœur ? qui ? si ce n’est vous, perle des apprentis. D’ailleurs, vous lui aurez sacrifié votre penchant ; et toute femme est sensible à cela. Vous aurez aussi couru quelques risques pour lui plaire : et qu’est-ce que la femme aime plus que le dévouement à ses caprices et le courage ? Puis, vous avez son secret ; il faudra qu’elle vous traite avec égard, qu’elle se fie à vous, qu’elle corresponde secrètement avec vous, jusqu’à ce qu’elle pleure d’un œil l’amant absent à jamais, tandis que de l’autre elle accordera un sourire de tendresse à celui qui sera présent pour la consoler. Alors, si vous ne venez pas à bout de gagner entièrement ses bonnes grâces, vous n’êtes pas le plus adroit des verts galans, comme vous en avez la réputation de par le monde. Eh bien ! que répondez-vous à cela ?
– Vous avez parlé comme une reine, divine Ursule ; je ferai toutes vos volontés.
– Vous connaissez bien l’Alsace ? continua dame Ursule.
– Trop bien, reprit son protégé en secouant la tête, trop bien ; j’y ai jadis entendu rouler les dés avant de faire le gentilhomme et d’aller chez le chevalier Bojo, comme on l’appelle, je crois. Et c’est bien sa maison qui est le pire des deux endroits, quoique les milans sur lesquels il préside aient un plumage plus séduisant.
– L’on t’y respecte, n’est-ce pas ?
– Oui, oui, reprit Vincent ; quand j’aurai remis mon pourpoint de futaine, je puis me promener dans l’Alsace à minuit comme je le ferais dans Fleet-Street en plein jour ; pas un des habitans de ce quartier ne broncherait devant le prince des apprentis et le roi des bâtons ; ils savent que j’ai sous mes ordres un bataillon de jeunes gaillards.
– Et vous connaissez tous les bateliers ?
– Je puis converser avec tous les bateliers de la Tamise dans leur jargon, depuis Richemond jusqu’à Gravesend ; je les connais ; tous, depuis John Taylor le poète jusqu’à Grigg le grimacier, qui ne fait pas un geste sans montrer toutes ses dents.
– Et vous pouvez prendre les déguisemens que vous voulez, batelier, boucher, soldat, n’importe ?
– Il n’est pas de meilleur comédien que moi, et tu le sais de reste, dame Ursule. Je puis défier la troupe du théâtre elle-même dans tous les rôles, excepté celui de gentilhomme. – Ôtez-moi de dessus le corps cette friperie maudite, qui me semble une peau dans laquelle le diable m’a enfermé, et il n’est aucun personnage que je ne représente au naturel.
– Bien, bien, nous parlerons tout à l’heure de votre métamorphose ; vous ne manquerez ni d’habits ni d’argent, car il en faudra pour que tout aille bien.
– Mais d’où viendra l’argent, dame Ursule ? c’est une question à laquelle je voudrais bien que vous fissiez réponse avant de me le faire toucher.
– Quoi donc ! quelle folle question ! Supposez que je veuille bien l’avancer à Marguerite, quel mal y trouveriez-vous ?
– C’est ce que je ne supposerai pas, reprit brusquement Jenkin. – Je sais, dame Ursule, que vous n’avez point d’or en réserve, et vous ne le garderiez pas long-temps si vous en aviez. – Ainsi il faut chanter sur une autre gamme. Cet argent doit venir de Marguerite elle-même.
– Eh bien ! soupçonneux jeune homme, et quand cela serait ?
– En ce cas, j’irai la trouver, et je lui demanderai si tant d’argent lui vient de bonne source. Car plutôt de consentir à ce qu’elle se le fût procuré par quelque coupable manœuvre, j’irais me pendre. C’est assez de ce que j’ai fait moi-même, sans engager la pauvre
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