Les Aventures de Nigel
dû l’occuper. Il doit y avoir certainement quelques domestiques dans une maison aussi vaste que celle-ci, dit-il en errant sur le palier où il avait été conduit par un long corridor de la galerie, au bout duquel il rencontra la première porte de plusieurs appartemens dont les uns étaient fermés et les autres sans meubles ; les uns comme les autres lui parurent inhabités, de sorte qu’enfin il retourna à l’escalier, et résolut de descendre au bas de la maison, espérant y trouver au moins le vieillard ou sa disgracieuse fille.
Dans ce dessein, il entra d’abord dans un petit salon étroit et sombre renfermant un grand fauteuil de cuir tout usé, devant lequel se trouvait une paire de pantoufles, tandis que sur le bras gauche était appuyée une espèce de béquille ; une table de chêne soutenait un énorme pupitre garni de fer et un lourd encrier d’étain. Autour de l’appartement étaient des tablettes, des bureaux et autres objets propres à y déposer des papiers. Une épée, un mousquet et une paire de pistolets étaient suspendus au-dessus de la cheminée avec ostentation, comme pour témoigner que le propriétaire était disposé à défendre sa demeure.
– C’est là sans doute l’antrede l’usurier, pensa Nigel ; et il était sur le point d’appeler à haute voix, quand le vieillard, qu’éveillait le moindre bruit, car le sommeil de l’avarice n’est jamais profond, fit entendre du fond d’une chambre voisine la voix d’un homme irrité, que sa toux du matin rendait encore plus tremblottante.
– Hem ! hem ! hum ! – qui est là ! Hum ! hum ! qui est là ? dis-je. – Eh bien ! Marthe ! hum ! hum ! Marthe Trapbois ! il y a des voleurs dans la maison, et ils ne veulent pas me parler ! Eh bien ! Marthe ! des voleurs ! des voleurs ! hum ! hum ! hum !
Nigel tâcha de l’apaiser. Mais l’idée de voleurs avait pris possession du cerveau du vieillard, et il continua à tousser et à crier, et à crier et à tousser, jusqu’à ce que la bonne Marthe arrivât dans l’appartement. Elle cria d’abord plus fort que son père pour le convaincre qu’il n’y avait pas de danger, et pour l’assurer que la personne qu’il entendait était leur nouvel hôte ; mais son père ne cessait de répéter : – Tenez-le ferme ! – hum ! hum ! – Tenez-le ferme jusqu’à ce que je vienne ! Elle réussit enfin à apaiser ses craintes et ses cris, et alors elle demanda d’un ton froid et sec à lord Glenvarloch ce qu’il venait faire dans l’appartement de son père.
Nigel eut alors tout le temps d’examiner son aspect, et ce qu’il vit n’était guère propre à changer l’idée qu’il s’en était formée lorsqu’il l’avait aperçue à la lueur de la chandelle le jour précédent. Elle avait ce qu’on appelait alors un vertugadin de la reine Marie ; non pas ce vertugadin tombant avec lequel on représente ordinairement l’infortunée reine d’Écosse, mais cet autre vertugadin à l’espagnole, qui serrait jusqu’à la gorge la cruelle Marie de Smitfield. Cet antique vêtement était parfaitement assorti au teint fané, aux yeux gris, aux lèvres pâles et au visage austère de la vieille fille, qui portait en outre un capuchon noir en guise de coiffe, disposé de manière à ne laisser paraître aucune mèche de cheveux, probablement parce que dans ces temps, plus simples que le nôtre, on ne connaissait pas encore le secret de déguiser la couleur que le temps commençait à leur donner. La fille de Trapbois était grande, maigre et flasque ; ses bras et ses mains étaient décharnés, ses pieds d’une largeur démesurée, et renfermés dans de grands souliers à talons hauts. Le tailleur semblait avoir voulu déguiser un léger défaut de conformation occasionné par une épaule plus élevée que l’autre ; mais les louables efforts de l’artiste n’avaient abouti qu’à faire remarquer à l’observateur ses bienveillantes intentions, sans lui prouver qu’il eût réussi.
Telle était mademoiselle Marthe Trapbois. – Que faisiez-vous là monsieur ? – Cette question, adressée d’un ton sec, frappa de nouveau l’oreille de Nigel, tandis qu’immobile d’étonnement en sa présence, il la comparait intérieurement à l’une de ces hideuses figures de la vieille tapisserie qui ornait son lit. Il fallut cependant répondre qu’il venait chercher un domestique, parce qu’il désirait allumer du feu dans son appartement
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