Les Aventures de Nigel
elle était attaquée, avec la méchante rapière que Lowestoffe lui avait remise pour compléter son déguisement. Aussi éprouva-t-il une émotion de confiance qui allait jusqu’au ravissement, lorsque, tirant du fourreau sa fidèle épée, il en essuya la lame avec son mouchoir, et en examina la pointe. Il la fit plier une ou deux fois en la fixant contre terre, pour reconnaître le métal d’une trempe des plus fortes ; enfin il la repoussa dans le fourreau d’autant plus vite qu’il entendit frapper à la porte, et qu’il ne se souciait nullement d’être surpris jouant avec son arme nue.
C’était le vieux Trapbois qui venait lui dire avec maintes grimaces que le prix de son appartement était d’une couronne par jour ; et suivant la coutume du quartier, payable d’avance ; quoique pour lui il ne se fût fait aucun scrupule de laisser l’argent dans les mains d’un brave gentilhomme comme monsieur Grahame, pendant une semaine, une quinzaine, et même un mois, toujours moyennant quelque considération raisonnable.
Nigel se débarrassa du vieux radoteur en lui jetant deux pièces d’or, et retenant la chambre pour huit jours, en ajoutant toutefois qu’il espérait partir plus tôt.
L’avare, l’œil étincelant et la main tremblante, s’empara du précieux métal ; et ayant avec un plaisir infini balancé les deux pièces sur l’extrémité de son doigt desséché, commença déjà à prouver que même la possession d’un trésor ne saurait contenter long-temps le cœur le plus avide. D’abord l’or pouvait n’être pas de poids ; d’une main prompte il tira de son sein de petites balances, pesa les deux pièces ensemble, et puis séparément, et il sourit d’un air de plaisir en les voyant faire pencher la balance de leur côté : – ce qui pouvait ajouter à ses profits, s’il était vrai, comme on le disait, que l’or qui était de cours dans l’Alsace n’était pas de très bon aloi, et en sortait toujours rogné.
Une autre crainte vint troubler la joie du vieillard ; il venait d’entrevoir que Nigel avait l’intention de quitter sa maison sans attendre le terme pour lequel il avait déposé la rente : cela pouvait entraîner une sorte de remboursement qui ne convenait guère à son humeur. Il allait commencer un avertissement de précaution, et citer plusieurs raisons pour prouver que tout remboursement était très préjudiciable aux propriétaires, lorsque Nigel impatienté lui dit que l’argent lui appartenait sans restriction, et sans aucune intention de sa part d’en réclamer la moindre partie, pourvu qu’on le laissât jouir de la liberté et de la solitude qu’il payait.
Le vieux Trapbois avait encore l’habitude des douces paroles qui lui avaient servi à hâter jadis la ruine de maint dissipateur ; il se répandait en grands éloges sur la libéralité de son hôte ; mais Nigel le prit par la main, et le mit doucement à la porte, qu’il ferma sans rien dire ; après quoi il fit pour ses pistolets ce qu’il avait fait pour son épée favorite, examinant avec attention le bassinet, la pierre et même l’état de ses munitions.
Il fut une seconde fois interrompu par quelqu’un qui heurtait à la porte ; il cria d’entrer, ne doutant plus que cette fois ce ne fût le messager de Lowestoffe. C’était pourtant la disgracieuse fille du vieux Trapbois, qui marmottant quelques excuses sur la méprise de son père, mit sur la table une des pièces d’or que Nigel avait jetées au vieillard, celle qu’elle gardait suffisant, lui dit-elle, pour le loyer de son logement pendant le temps qu’il avait spécifié. Nigel répondit qu’il avait donné son argent sans aucun désir de le reprendre.
– Faites-en ce que vous voudrez en ce cas, reprit son hôtesse, car le voilà, et je n’y touche plus ; si vous êtes assez fou pour payer plus que vous ne devez, mon père ne sera pas assez fripon pour prendre plus qu’il ne lui est dû.
– Mais votre père, répondit Nigel, votre père m’a dit…
– Oh ! mon père, mon père, interrompit Marthe, – mon père faisait ses affaires quand il en était capable ; – c’est moi qui m’en charge maintenant, et ce ne sera pas plus mal à la longue pour l’un et l’autre.
Elle regarda sur la table, et remarqua les armes.
– Vous avez des armes, à ce que je vois, dit-elle ; – savez-vous vous en servir ?
– Je le saurais au besoin, madame ; les armes ont toujours été mon
Weitere Kostenlose Bücher