Les Aventures de Nigel
garantis qu’elle ne sera pas en reste avec ceux qui la recevront mal ; elle est en état de tenir tête à tout votre clan.
– Cela pourrait bien être un petit inconvénient pour moi, dit Nigel.
– Pas du tout, pas du tout, répliqua le duc fécond en expédiens : si elle se rendait insupportable, ce qui serait très possible, – votre honorable maison, je présume, est un château ; il y a des tours, des donjons, – vous pourriez y enfermer votre noble épouse, et vous mettre à l’abri de sa langue.
– Sage conseil, très équitable duc, dit Nigel ; et ce serait un sort digne de sa folie, si elle me donnait le moindre pouvoir sur elle.
– Vous y pensez donc, milord ? demanda le duc Hildebrod.
– Il faut m’accorder vingt-quatre heures de réflexion, dit Nigel, et je vous prie de faire en sorte que personne ne vienne plus m’interrompre.
– Nous rendrons un décret à cette fin, répondit le duc ; et ne pensez-vous pas, ajouta-t-il en mettant sa voix au ton grave d’une proposition commerciale ; ne pensez-vous pas que dix mille livres… ? – ce n’est pas trop pour reconnaître la munificence d’un souverain qui dispose de sa pupille en votre faveur.
– Dix mille ! s’écria lord Glenvarloch ; – quoi ! vous disiez cinq mille tout à l’heure.
– Ah ! vous y avez fait attention, dit le duc en portant le doigt à son nez. – Oh ! alors je vois que vous m’avez écouté plus sérieusement que je ne croyais. – Bon, bon, nous serons d’accord sur cette considération, comme dirait le vieux Trapbois. – Songez donc à attendrir la future. – Cela ne sera pas difficile avec votre air et votre taille. Je vais empêcher qu’on ne vous interrompe. Je ferai rendre un édit par le sénat à l’assemblée de midi.
À ces mots, le duc Hildebrod prit congé de Nigel.
CHAPITRE XXIV.
« Voici l’heure. – Du ciel la vierge sentinelle
« Déjà de son fanal a caché la clarté ;
« Donne-moi le levier, approche-moi l’échelle :
« Près du loquet, qu’Antoine, en silence posté,
« Arme sa carabine et serve de vedette ;
« Pour toi, prends ton poignard , et suis-moi : cette nuit,
« Si nous réussissons, notre fortune est faite. »
Ancienne comédie.
Quand le duc Hildebrod fut parti, si Nigel eût écouté son premier mouvement, il aurait ri de bon cœur du sage conseiller qui voulait ainsi l’unir avec la vieillesse, la laideur et un mauvais caractère ; mais sa seconde pensée fut un sentiment de pitié pour le malheureux père et sa fille, qui, étant les seules personnes riches de ce triste quartier, y semblaient, comme Marthe elle-même l’avait dit, le débris d’un navire naufragé sur les côtes d’une contrée barbare, et que la jalousie des peuplades sauvages peut seule sauver un moment du pillage. Il ne put pas non plus s’empêcher de sentir qu’il ne séjournait dans les mêmes lieux que sous des conditions également précaires, et qu’il était considéré par les Alsaciens comme un don du ciel sur la côte de Cornouailles, ou comme une caravane mourant de soif, mais riche, traversant les déserts de l’Afrique, et emphatiquement appelée Dummalafong par les nations de voleurs qui la voient passer. – Or, Dummalafong signifie chose donnée à dévorer, – une proie commune à tous les hommes.
Nigel avait déjà fait son plan pour se tirer à tous risques de sa situation périlleuse et dégradante. Avant de le mettre à exécution, il n’attendait que le retour du messager qu’il avait envoyé à Lowestoffe. Il l’attendit en vain ; cependant il ne put se distraire qu’en s’occupant du bagage qui lui avait été expédié de son premier logement, et en cherchant ce qui lui serait le plus nécessaire s’il se décidait à quitter l’Alsace secrètement, vu que le secret et la célérité lui deviendraient indispensables pour obtenir une audience du roi, car c’était là ce qu’il croyait de son intérêt de chercher.
Il trouva, à sa grande satisfaction, que Lowestoffe lui avait expédié non-seulement sa rapière et son poignard, mais encore une paire de pistolets qu’il portait ordinairement en voyage, et qui étaient de véritables pistolets de poche. Après l’idée d’avoir de vaillans compagnons, l’idée qui donne surtout du courage à l’homme est celle de se voir bien armé en cas de besoin. Ce n’était pas sans quelque inquiétude que Nigel avait pensé au hasard de défendre sa vie, si
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