Les Aventures de Nigel
métier.
– Vous êtes donc un soldat ? demanda Marthe.
– Tout gentilhomme de mon pays est soldat : je ne le suis pas à d’autre titre.
– Ah ! oui, – voilà votre point d’honneur. – Couper la gorge à de pauvres gens ; – noble occupation pour les gentilshommes qui devraient nous protéger !
– Je ne fais le métier de couper la gorge à personne, madame ; mais je porte des armes pour me défendre et défendre ma patrie au besoin.
– Oui, belles phrases que cela ! mais on dit que vous êtes tout aussi prompt qu’un autre à vous engager dans des querelles, quand ni votre sûreté ni votre patrie ne sont compromises ; et si ce n’était cela, vous ne seriez pas aujourd’hui venu dans le sanctuaire.
– Madame, reprit Nigel, je chercherais en vain à vous faire comprendre que l’honneur d’un homme, qui doit nous être plus cher que tout au monde, peut souvent lui faire hasarder sa vie et celle des autres pour des causes en apparence frivoles.
– La loi de Dieu ne dit rien de cela, répondit Marthe ; je n’y ai lu que ceci : Tu ne tueras point. Mais je n’ai ni le temps ni l’envie de vous prêcher ; – vous trouverez ici assez d’occasions pour vous battre si vous le voulez ; et fasse le ciel que le danger ne vienne pas vous surprendre quand vous y penserez le moins ! Adieu, pour le moment. – La femme de ménage exécutera vos ordres pour vos repas.
Elle sortit au moment où Nigel, piqué du ton de supériorité qu’elle prenait, était sur le point d’entamer une dispute oiseuse avec la fille d’un vieil usurier, sur le sujet du point d’honneur. Il sourit de la folie où son amour-propre allait l’entraîner.
Lord Glenvarloch profita ensuite de la vieille Débora pour se procurer un dîner passable ; et la seule gêne qu’il éprouva fut encore de la part de son vieil hôte, qui entra presque de force en voulant mettre lui-même la nappe. Ce ne fut pas sans peine que Nigel l’empêcha de déplacer les armes et quelques papiers qui se trouvaient sur la petite table près de laquelle il s’était assis l’instant auparavant. Il lui fallut répéter, avec un non positif, qu’il ne voulait pas qu’on touchât à cette petite table où le vieux radoteur voulait absolument mettre le couvert, quoiqu’il y en eût deux dans l’appartement.
L’ayant enfin forcé de changer de dessein, il observa que l’attention de Trapbois semblait toujours fixée avec inquiétude sur la petite table où étaient l’épée et les pistolets, dont il s’approchait toujours de plus en plus. Enfin l’usurier, ne se croyant pas aperçu, étendait la main vers les objets qu’il avait si souvent caressés de l’œil ; mais Nigel le vit, grâce à la réflexion d’une vieille glace fêlée, espèce de dénonciateur auquel le vieillard n’avait pas pensé. Nigel déclara à son hôte, d’un ton de voix sévère, qu’il défendait qu’on touchât à ses armes, et lui ordonna de quitter la chambre. Le vieillard murmurait quelques excuses, avec le mot considération ; mais Nigel, sans l’écouter, lui réitéra l’ordre formel de sortir.
La vieille Hébé qui versait à boire au lord Glenvarloch prit son parti contre le Ganymède suranné qui venait usurper ses fonctions, et le menaça de la colère de sa fille. Le vieillard obéissait aux lois du jupon plus qu’à toute autre autorité ; c’est pourquoi, effrayé de cette menace plutôt que de celle de Nigel, il partit en grommelant et marmottant. Glenvarloch l’entendit fermer une grande porte au bout de la galerie qui servait de séparation entre les autres parties de cette vaste maison et sa propre chambre ; celle-ci, comme le lecteur doit le savoir, avait son issue sur le palier du grand escalier.
Le son des verrous, tirés successivement par la main tremblante de Trapbois, fut pour Nigel l’augure d’une complète solitude pour toute la soirée, et il l’accepta avec plaisir.
La vieille femme lui demanda si elle pouvait encore faire quelque chose pour lui. Le plaisir de le servir, ou pour mieux dire la récompense qu’elle en espérait, semblait avoir renouvelé sa jeunesse et son activité. Nigel demanda de la lumière, du feu, et quelques fagots de réserve pour l’entretenir, car il commençait à sentir l’humidité froide d’une maison située si près de la Tamise. Et tandis que la vieille était allée remplir son message, il réfléchit aux moyens de passer le temps pendant la longue
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