Les Aventures de Nigel
pût crier vengeance.
La nuit était avancée, Nigel tenait encore le livre dans les mains, quand la tapisserie s’agita, et le mouvement de l’air fit balancer la flamme des bougies qui l’éclairaient.
Nigel tressaillit, et se retourna avec cette émotion involontaire qui venait de sa lecture, surtout à une époque où la superstition faisait partie des croyances religieuses ce ne fut donc pas sans un léger trouble qu’il aperçut la pâle figure du vieux Trapbois, qui tendait encore sa main flétrie vers la table sur laquelle étaient les armes. Convaincu par cette apparition imprévue que quelque sinistre projet se tramait contre lui, Nigel se leva, prit son épée, et l’appuyant sur le sein du vieillard, lui demanda ce qu’il venait faire dans sa chambre à une heure semblable.
Trapbois ne montra ni crainte ni surprise, et répondit assez distinctement qu’il renoncerait plutôt à sa vie qu’à sa propriété. Lord Glenvarloch étrangement embarrassé, ne savait que penser d’une telle visite. Il employait la menace pour se débarrasser de la présence du vieil avare, quand il fut surpris par une seconde apparition du même côté de la tapisserie, dans la personne de Marthe Trapbois, qui portait une lampe à la main.
Elle avait la même insensibilité pour le danger que son père ; car s’approchant de Nigel, elle écarta brusquement son épée nue, et tenta même de la lui arracher de la main.
– N’avez-vous pas honte ? dit-elle : – votre épée contre un vieillard de plus de quatre-vingts ans ! – Voilà donc l’honneur d’un noble écossais ! – Donnez-moi cette épée pour m’en faire un fuseau.
– Retirez-vous, dit Nigel ; je ne veux faire aucun mal à votre père. Mais je veux savoir ce qui le fait rôder comme un oiseau de proie auprès de mes armes, même à cette heure de nuit.
– Vos armes ! vos armes ! répéta Marthe ; – hélas ! jeune homme, tout l’arsenal de la Tour de Londres est de peu de valeur à ses yeux au prix de cette pièce d’or que j’ai laissée ce matin sur la table d’un jeune dissipateur trop insouciant pour remettre dans sa bourse ce qui lui appartient.
À ces mots, elle montra la pièce d’or sur la table. C’était l’appât par lequel le vieux Trapbois avait été si souvent attiré, et qui, même dans le silence de la nuit, avait tellement occupé son imagination qu’il avait profité d’un passage secret depuis long-temps hors d’usage, pour venir dans l’appartement de son hôte s’emparer pendant son sommeil du trésor qu’il regrettait. Il s’écria alors d’une voix tremblottante :
– Elle est à moi, – oui, à moi ; – il me l’a donnée pour certaine considération. Je mourrai plutôt que de perdre mon bien.
– Elle lui appartient en effet, dit Nigel à Marthe, et je vous supplie de la rendre à la personne à qui je l’ai donnée. – Qu’on me laisse en repos dans ma chambre.
– Je vous en tiendrai donc compte, dit la fille en remettant malgré elle à son père la pièce d’or, qu’il saisit de ses doigts décharnés comme le faucon qui tient sa proie dans ses serres ; et marmottant quelques remercîmens du ton d’un chien qui vient de recevoir sa pâture, il suivit mistress Marthe par une porte dérobée qu’on apercevait depuis que la tapisserie était écartée.
– Cette porte sera certainement bien fermée demain, dit Marthe à Nigel, de manière à n’être pas entendue de son père, qui était sourd et tout occupé de sa pièce d’or. Pour cette nuit, je le veillerai attentivement. Je vous souhaite un sommeil paisible.
Ces mots, prononcés avec plus de civilité qu’elle n’en avait encore témoigné à son hôte, contenaient un souhait qui ne devait point être exaucé, quoique Nigel se mît au lit aussitôt après.
Il éprouvait une vive agitation causée par les divers événemens de la journée. Mille pensées contraires troublaient son esprit, et le sommeil le fuyait toujours.
Il eut recours à toutes les ressources communes en pareil cas. Il compta depuis un jusqu’à mille, jusqu’à ce que sa tête en tournât. – Il regarda les tisons jusqu’à en avoir les yeux éblouis. Il écouta les gémissemens du vent et les aboiemens de quelques chiens sans abri. – Tout fut inutile.
Tout à coup, au milieu de cette insomnie, un bruit le fait tressaillir. C’est le cri d’une femme. Il se relève sur son lit pour écouter ; mais il se souvient qu’il est
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