Les Aventures de Nigel
soirée qui le menaçait.
Ses propres rêveries ne lui permettaient guère d’agréables momens ; il avait considéré sa situation sous tous les jours possibles, et prévoyait peu de ressources à y songer encore. Les livres lui semblaient le meilleur moyen de changer le cours de ses idées. Quoique, comme la plupart d’entre nous, Nigel fût resté plusieurs heures de sa vie au milieu de vastes bibliothèques sans toucher aux trésors de science qu’elles contenaient, il était alors à portée de sentir tout le prix même d’un livre médiocre.
La vieille ménagère revint bientôt après avec des fagots et des bouts de bougies que Nigel devait brûler les uns après les autres. Ce fut avec surprise qu’elle l’entendit lui demander un livre, – un livre quelconque, – pour abréger le temps et la nuit, – Mais, répondit-elle, elle ne connaissait dans la maison d’autre livre que la Bible de Marthe Trapbois, sa jeune maîtresse, comme elle l’appelait toujours, et qui ne la prêterait pas ; – un second volume du Traité d’arithmétique par Robert Record, avec les règles d’équation par Cossike. Ces livres appartenaient à son maître ; mais Nigel les refusa. – Elle offrit donc d’aller en emprunter au duc Hildebrod, qui quelquefois (le pauvre homme !) lisait une page ou deux quand les affaires politiques de l’Alsace lui en laissaient le loisir.
Nigel accepta la proposition, et son infatigable Iris alla faire sa seconde ambassade. Elle revint bientôt après avec un vieux bouquin in-4° sous le bras, et une bouteille de vin des Canaries à la main ; car le duc, jugeant que la lecture seule desséchait le gosier, avait envoyé ce supplément liquide, dont il ajouta le prix au compte du matin.
Nigel prit le livre et ne refusa pas le vin, pensant qu’un verre ou deux ne seraient pas de trop dans sa solitude. Heureusement le liquide était d’assez bonne qualité. Il congédia avec des remercîmens et des promesses de récompense la pauvre femme qui avait été si zélée à le servir ; il arrangea son feu et sa lumière, plaça le plus commode des deux fauteuils usés entre la cheminée et la table sur laquelle étaient le vin et les débris de bougie. Après s’être ainsi entouré de tous les agrémens possibles dans le lieu où il se trouvait, il commença à examiner le seul volume que la bibliothèque ducale de l’Alsace lui eût procuré.
Le contenu, quoique intéressant, n’était guère propre à dissiper son humeur mélancolique. Le titre portait : – Vengeance de Dieu sur le meurtre. – Comme le pense bien le lecteur bibliomane, ce n’était pas le livre que publia Reynolds sous ce titre imposant, mais un autre plus ancien, imprimé et vendu par Wolfe, et dont un exemplaire aujourd’hui se paierait au poids de l’or {100} .
Nigel fut bientôt fatigué des lamentables histoires que ce livre contenait, et essaya deux ou trois autres manières de tuer le temps. Il regarda par la fenêtre ; mais la nuit était pluvieuse et le vent soufflait. Il voulut attiser le feu ; mais les fagots étaient verts, et fumaient sans brûler. Naturellement sobre, il ne but qu’une fois du vin des Canaries, qu’il trouvait trop chaud pour son estomac. Il essaya ensuite de composer un mémoire adressé au roi ; mais à l’idée que sa supplique serait traitée avec mépris, il jeta le papier au feu, et reprit le livre.
Sa seconde lecture l’intéressa plus que la première. Les récits, quelque étranges, quelque révoltans même qu’ils fussent, avaient cette espèce de charme horrible qui fixe l’attention. On y trouvait maints actes sanguinaires inspirés par la vengeance, la soif de l’or ou l’insatiable ambition. Mais ce qu’il y avait de plus surprenant et de plus mystérieux dans ces histoires, c’était la manière dont ces crimes avaient été découverts. Des animaux, des animaux dénués de raison, avaient révélé le forfait ; les oiseaux de l’air avaient servi de témoins accusateurs ; les élémens avaient trahi le meurtre qui les souillait ; la terre avait refusé de supporter l’assassin, le feu de réchauffer ses membres glacés, l’eau de rafraîchir ses lèvres, l’air d’entretenir son souffle. Tout en un mot portait témoignage contre l’homicide ! Ailleurs, la conscience du coupable le poursuivait elle même, et l’amenait devant les juges ; quelquefois c’était le tombeau qui s’était ouvert afin que le fantôme de la victime
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