Les Aventures de Nigel
devant moi, je vous l’ai dit. Le roi vous boude, et la cour vous tourne le dos ; le prince fronce le sourcil en parlant de vous ; le favori vous traite avec froideur ; et le favori du favori…
– Pour abréger, monsieur, interrompit Nigel, supposez tout cela vrai. – Ensuite ?
– Ensuite ? reprit le duc Hildebrod. Malepeste ! ensuite vous seriez reconnaissant envers celui qui vous donnerait les moyens de marcher fièrement devant le roi, comme si vous étiez le comte Kildare, de vous venger des courtisans, de vous moquer des regards froids du prince, de braver le favori de…
– Bien, fort bien, dit Nigel. Mais quel est le moyen de faire tout cela ?
– En vous faisant roi du Pérou, milord, du Pérou des latitudes septentrionales ; en soutenant votre vieux château avec des lingots, en fertilisant vos biens avec de la poudre d’or ; il ne vous en coûtera que de mettre pour un jour ou deux votre couronne de baron sur le front d’une vieille fille, la fille du maître de ce logis, et vous serez possesseur d’un trésor qui fera pour vous tout ce que je viens de dire.
– Quoi ! vous voudriez me faire épouser cette vieille fille de mon hôte ? dit Nigel surpris et piqué, mais ne pouvant résister à une envie de rire.
– Non, milord ; je voudrais vous faire épouser cinquante mille bonnes livres sterling ; car le vieux Trapbois a pour le moins amassé cela ; et vous rendrez service au vieux bonhomme, qui perdra ses guinées d’une manière moins agréable, car maintenant qu’il a passé ses jours de travail, le jour des comptes arrivera bientôt pour lui.
– En vérité, voilà une offre généreuse, dit lord Glenvarloch ; mais je vous prie de me dire avec votre noble candeur, très gracieux duc, pourquoi vous disposez d’une héritière si riche en faveur d’un étranger qui peut vous quitter demain.
– En vérité, milord, dit le duc, cette question sent plus l’ami du chevalier de Beaujeu que tout ce que vous avez dit jusqu’ici ; il est juste de vous répondre. Quant à mes pairs, il est nécessaire de dire que miss Marthe Trapbois ne veut d’aucun d’eux, ecclésiastique ou laïque. Le capitaine l’a demandée, le curé aussi ; mais elle a rejeté l’un et l’autre ; elle se regarde comme au-dessus d’eux ; et, à dire vrai, elle a l’esprit trop fin pour se laisser séduire par le premier venu. Pour nous, il est suffisant de dire que nous avons une épouse sur la terre des vivans, et qui plus est, Marthe le sait ; ainsi donc, puisqu’elle ne veut renoncer à sa couronne virginale qu’en faveur de quelque homme de qualité, c’est vous, milord que cela regarde, et qui devez emporter tout cet or, dépouilles de tant de dupes, en déduisant seulement de la somme cinq mille guinées pour notre royal avis et notre protection ; car sans cela, comme les choses se passent en Alsace, vous trouveriez difficilement à emporter l’argent.
– Mais votre sagesse a-t-elle considéré comment ce mariage peut me servir dans la position critique où je me trouve ?
– Quant à cela, milord, si avec quarante ou cinquante mille livres sterling dans votre poche vous ne parvenez pas à vous tirer d’affaire, vous mériterez de perdre la tête pour votre folie, et la main pour avoir tenu les doigts trop serrés.
Nigel comprit qu’il serait peu prudent de rompre avec un homme qui dans le fond lui voulait du bien à sa manière.
– Mais puisque dans votre bonté, lui dit-il, vous avez pris mes affaires tant à cœur, peut-être pourrez-vous me dire comment ma famille recevra une épouse comme celle que vous m’offrez.
– Quant à cela, milord, j’ai toujours entendu dire que les gens de votre pays savaient tout aussi bien que d’autres de quel côté leur pain était beurré : et certes, par ouï-dire, je ne connais pas de lieu où cinquante mille livres sterling, cinquante mille livres sterling, dis-je, ne procureraient pas un bon accueil à une femme. D’ailleurs, à l’exception du petit défaut de son épaule, mistress Marthe Trapbois est une personne d’un aspect noble et majestueux, qui peut fort bien descendre d’un sang illustre, car le vieux Trapbois n’a guère l’air d’être son père, et sa mère était une femme généreuse et libérale.
– J’ai peur, répondit Nigel, que cette chance ne suffise pas pour lui assurer une gracieuse réception dans une maison honorable.
– Eh bien ! alors, milord, reprit Hildebrod, je vous
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