Les Aventures de Nigel
Que le ciel leur pardonne de sacrifier ainsi une maison respectable pour arriver à leurs odieuses fins !
– Ainsi soit-il, dit Nigel.
– Car, quoiqu’on dise que Votre Seigneurie a été un peu de côté, comme tant d’autres jeunes gentilshommes…
– Nous n’avons guère le temps de parler de cela, dit Nigel ; l’important est de savoir comment je pourrai obtenir audience du roi.
– Du roi, milord ! dit Linklater étonné : pourquoi donc ? n’est-ce pas courir vous-même au-devant du danger ? n’est-ce pas vous échauder vous-même, si je puis m’exprimer ainsi, dans votre propre cuiller à pot ?
– Mon bon ami, reprit Nigel, mon expérience de la cour et la connaissance que j’ai des circonstances où je me trouve, me disent que le chemin le plus direct est en même temps le plus sûr dans ma position ; le roi a un assez bon esprit pour comprendre ce qui est juste, et un assez bon cœur pour faire ce qui est bien.
– Cela est vrai, milord, nous le savons, nous qui le servons depuis long-temps ; mais, hélas ! si vous saviez combien de personnes sont occupées nuit et jour à mettre son cœur en opposition avec sa tête et sa tête en opposition avec son cœur ; – à lui faire prendre des mesures sévères qu’ils lui représentent comme des actes de justice, et à lui faire commettre des injustices qu’ils appellent des actes de bonté ! Hélas ! on peut dire de Sa Majesté et des favoris qui la mènent ce qu’a dit le vieux proverbe faitaux dépens de ma profession : – le ciel envoie la bonne viande, mais le diable envoie les cuisiniers.
– Peu importe, mon bon ami, il faut que je coure ce risque ; mon honneur l’exige impérieusement. Ils peuvent me mutiler, me dépouiller, mais ils ne diront pas que j’ai fui devant mes calomniateurs. Mes pairs entendront ma justification.
– Vos pairs ! hélas ! milord, nous ne sommes pas en Écosse, où les nobles peuvent faire valoir leurs droits, et cela même contre le monarque. – Cependant si vous êtes déterminé à voir le roi, je ne nierai pas que vous n’en puissiez obtenir grâce ; car il aime singulièrement qu’on en appelle directement à sa propre sagesse, et même je l’ai vu quelquefois, en pareil cas, tenir ferme à son opinion, qui est toujours généreuse. Seulement n’oubliez pas, et vous me pardonnerez ces détails, n’oubliez pas d’assaisonner vos paroles de latin ; une phrase ou deux de grec ne feraient pas mal ; et, si vous pouvez rapporter sur quelque sujet le jugement de Salomon en hébreu, et entrelarder le tout d’une ou deux plaisanteries, le plat sera fort de son goût. En vérité, je crois qu’outre mon talent de cuisinier je dois beaucoup aux verges du recteur de notre école, qui finirent par me graver dans la mémoire la scène de cuisine de l’ Heautontimorumenos.
– Laissant ce sujet de côté, mon ami, dit lord Glenvarloch, pourriez-vous m’apprendre comment je pourrais voir le roi et lui parler le plus tôt possible ?
– Si vous voulez le voir bientôt, il galope maintenant dans les allées pour voir lancer le cerf, et se mettre en appétit pour dîner, ce qui me rappelle que je devrais être à la cuisine… Pour lui parler, ce ne sera pas si facile à moins que vous ne le rencontriez seul, ce qui arrive rarement, ou que vous ne l’attendiez avec la foule pour le voir descendre ; et maintenant, adieu, milord ; – puissiez-vous réussir ! Si je puis faire quelque chose pour vous, je suis tout à votre service.
– Vous en avez assez fait, peut-être, pour vous compromettre, dit lord Glenvarloch ; retirez-vous, je vous prie, et abandonnez-moi à mon destin.
L’honnête cuisinier hésitait encore ; mais le son des cors, qui se fit entendre de plus près, lui apprit qu’il n’avait pas de temps à perdre ; et ayant averti Nigel qu’il ne fermerait la poterne qu’au loquet, afin de lui assurer une retraite dans cette direction, il pria le ciel de lui être favorable, et lui dit adieu.
Dans l’intérêt que lui témoignait son humble compatriote, et qu’il devait, partie à un sentiment naturel de partialité nationale, et partie au souvenir de bienfaits qui avaient à peine occupé un instant la pensée de ceux qui les avaient accordés, lord Glenvarloch crut voir le dernier témoignage de compassion qu’il recevrait dans ce séjour d’une froide politesse. Il sentit qu’il devait maintenant se suffire à lui-même, ou qu’il était perdu
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