Les Aventures de Nigel
l’Écosse et tout ce qui y tenait. En tout temps une insulte, même moins directe, adressée à son pays natal, aurait provoqué Richie ; à plus forte raison quand il avait la tête échauffée par plus d’une double quarte de vin des Canaries. Il était au moment de faire une réponse très-dure, et de soutenir ses paroles du geste, lorsqu’en examinant de plus près son antagoniste il changea de résolution.
– Vous êtes l’homme du monde, lui dit-il, que je désirais le plus voir.
– Et vous, répondit l’étranger, ainsi que tous vos misérables compatriotes, vous êtes le dernier que je désire jamais voir. Vous autres Écossais, vous êtes toujours faux et flatteurs, et un honnête homme ne saurait prospérer à côté de vous.
– Quant à notre pauvreté, l’ami, c’est comme il plaît au ciel ; mais pour ce qui est d’être faux, je vous prouverai qu’un Écossais porte un cœur aussi loyal et aussi dévouée à son ami qu’un Anglais.
– Que m’importe que cela soit ou non ? Laissez-moi m’en aller. – Pourquoi tenez-vous mon manteau ? Lâchez-moi, ou je vous jette dans le ruisseau.
– Je crois que je vous le pardonnerais, car vous m’avez rendu autrefois un bon service en m’en retirant.
– Maudite soit donc ma main, si elle a fait cette sottise ! Je voudrais que vos compatriotes y fussent tous avec vous, et que la malédiction du ciel tombât sur celui qui vous aiderait à vous relever ! Pourquoi m’arrêtez-vous ? ajouta-t-il avec colère.
– Parce que vous prenez un mauvais chemin, maître Jenkin, dit Richie. Mais que cela ne vous effraie pas ; vous voyez que vous êtes connu. Ouais ! le fils d’un honnête homme aurait-il peur de s’entendre appeler par son nom ?
Jenkin se frappait le ventre avec violence.
– Allons, allons, dit Richie, cette colère ne sert à rien. Dites-moi, où allez-vous ?
– Au diable, répondit Jenkin.
– C’est un triste voyage, si vous parlez à la lettre ; mais si c’est par métaphore, il y a des lieux pires dans cette grande ville que la taverne du Diable ; et je ne serais pas fâché d’y aller avec vous, et de vous régaler d’une double quarte de vin chaud. – Cela corrigerait les crudités de mon estomac, et formerait un préparatif agréable pour une cuisse de poulet froid.
– Je vous prie, en bonne forme, de me laisser aller, dit Jenkin. Vous pouvez me vouloir du bien, et de mon côté je ne vous souhaite pas de mal ; mais je puis être dangereux à moi-même ou à tout autre.
– J’en courrai le risque, pourvu que vous vouliez venir avec moi ; voici un endroit convenable, une auberge plus voisine de nous que celle du Diable, qui est un nom de mauvais augure pour une taverne. Celle-ci, à l’enseigne de Saint-André, est un lieu tranquille, et où j’ai mangé de temps en temps quand je logeais dans le voisinage du Temple avec lord Glenvarloch. – Que diable avez-vous pour me pousser de la sorte, et presque nous renverser tous les deux sur le pavé ?
– Ne prononcez pas devant moi le nom de ce perfide Écossais, dit Jin Vin, si vous ne voulez pas que je devienne fou ! – J’étais heureux avant l’instant où je le vis ; – il a été la cause de tout le mal qui m’est survenu ; – il a fait de moi un fripon et un fou.
– Si vous êtes un fripon, dit Richie, vous avez trouvé un huissier ; – si vous êtes fou, vous avez trouvé un garde ; mais huissier et garde tous deux d’une nature fort douce. Voyez-vous, mon bon ami, on a fait plus de vingt histoires sur ce même lord, dans lesquelles il n’y a pas plus de vérité que dans les mensonges de Mahomet. Tout ce qu’on peut dire de plus mal sur son compte, c’est qu’il n’est pas toujours aussi docile aux bons avis que je voudrais le voir ; mais c’est un reproche qu’on peut vous faire aussi, de même qu’à tous les jeunes gens. Venez avec moi. – Allons, venez avec moi ; et si un peu d’argent et beaucoup d’excellens conseils peuvent adoucir votre situation, tout ce que je puis dire, c’est que vous avez eu le bonheur de rencontrer quelqu’un en état et en disposition de vous en donner.
L’opiniâtreté de l’Écossais prévalut sur celle de Vincent, qui était réellement dans un tel état d’agitation et de trouble qu’il se laissait facilement entraîner par les suggestions des autres. Il se laissa conduire dans la petite taverne recommandée par Richie, où ils se trouvèrent assis dans
Weitere Kostenlose Bücher