Les Aventures de Nigel
Angleterre.
– Il y a certains de ses concitoyens, dit maître George, que tout le lard de l’Angleterre n’a pas été en état d’engraisser.
Sir Mungo rougit ; le reste de la compagnie se mit à rire ; mais le cynique, qui avait ses raisons pour ne pas se brouiller avec maître George, garda le silence pendant tout le reste du dîner. Lorsqu’on eut desservi, on plaça sur la table le dessert et des vins de la première qualité ; et Nigel vit que les repas des bourgmestres opulens auxquels il avait assisté en pays étranger étaient éclipsés par l’hospitalité d’un marchand de Londres. Il n’y avait pourtant aucune ostentation, rien au-dessus de ce que pouvait se permettre un riche bourgeois.
Pendant le dîner, Nigel, suivant les usages de la politesse du temps, adressa d’abord la parole à mistress Judith, qu’il jugea une femme de beaucoup de bon sens, mais ayant plus de tendance au puritanisme que son frère maître George, car elle était sa sœur, quoiqu’il l’appelât toujours sa tante. Elle lui était tendrement attachée, et elle avait soin que rien de ce qui pouvait lui être agréable ne lui manquât. Comme la conversation de cette bonne dame n’était pas très-animée, et n’avait rien de bien attrayant, le jeune lord s’adressa naturellement à son autre voisine, la fille du vieil horloger ; mais il lui fut impossible d’en obtenir une réponse dont la longueur excédât celle d’un monosyllabe ; et, pendant qu’il lui débitait les plus beaux complimens que la politesse pouvait lui suggérer, le léger sourire qui faisait entr’ouvrir ses lèvres était de si courte durée, qu’à peine on pouvait l’apercevoir. Nigel commençait à être ennuyé de la compagnie dans laquelle il se trouvait, car les quatre marchands avaient commencé à causer d’affaires commerciales, en termes qui lui étaient tout-à-fait inintelligibles, quand sir Mungo Malagrowtlier attira tout à coup l’attention générale.
Cet aimable personnage avait quitté la table depuis quelques instans, et se tenait près d’une croisée placée de manière à donner vue sur la rue et sur la porte de la maison. Il avait probablement choisi ce poste, parce que les rues d’une capitale offrent un tableau mouvant qui présente ordinairement quelques objets d’accord avec les pensées d’un misanthrope. Ce qu’il y avait vu jusqu’alors était sans doute peu important, mais en ce moment on entendit le bruit d’un cheval, et sir Mungo s’écria : – Sur ma foi, maître George vous feriez mieux de descendre dans votre boutique, car voici Knighton l’écuyer du duc de Buckingham, suivi de deux laquais, comme si c’était le duc lui-même.
– Mon caissier est en bas, répondit Heriot sans se déranger. Si les ordres de Sa Grâce exigent ma présence sur-le-champ, il m’en informera.
– Un caissier ! pensa sir Mungo ; c’eût été une place facile à remplir quand j’ai commencé à le connaître ? – Mais ne viendrez-vous pas à la fenêtre, du moins ? lui demanda-t-il ; Knighton vient de faire rouler une pièce d’argenterie dans votre maison. Ha ! ha ! ha ! il l’a fait rouler comme si c’eût été un cerceau. – Ha ! ha ! ha ! je ne puis m’empêcher de rire de l’impudence du drôle.
– Je crois, répondit maître George en se levant et en sortant de l’appartement, que vous ne pourriez vous empêcher de rire quand votre meilleur ami serait au lit de la mort.
– Le trait est-il piquant, milord ? demanda sir Mungo à lord Nigel. Notre ami n’est pas orfèvre pour rien : les flèches qu’il décoche ne sont pas armées de plomb. – Il faut que j’aille voir ce qui se passe là-bas.
Heriot, en descendant l’escalier, rencontra son caissier qui montait, et vit, à son air, que tout n’allait pas comme il l’aurait désiré. – Qu’y a-t-il donc, Roberts ? lui demanda-t-il ; que veut dire tout cela ?
– C’est Knighton qui arrive de la cour, maître Heriot ; Knighton, l’écuyer du duc : il vient de rapporter la salière que vous avez portée ce matin à Whitehall, et il l’a jetée à l’entrée de la boutique comme si c’eût été une vieille soupière d’étain, en disant que le roi n’avait que faire de vos guenilles.
– De mes guenilles ! répéta Heriot. Suivez-moi dans le comptoir, Roberts. Il s’aperçut que sir Mungo les avait rejoints, et qu’il se disposait à y entrer avec eux. Pardon, sir Mungo, lui dit-il ;
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