Les Aventures de Nigel
à peine en ai-je le courage. Les amis qui devaient m’encourager et me protéger m’ont trompé ou ne m’ont montré qu’indifférence et froideur, et bien certainement je n’irai demander à aucun de m’accompagner en cette occasion. Vous direz, si vous voulez, que c’est un enfantillage ; mais je l’avoue, j’éprouve une sorte de répugnance à me présenter seul sur une scène si nouvelle pour moi.
– Il est peut-être bien hardi à un simple marchand comme moi de faire une pareille offre à un noble lord ; mais il faut que j’aille après-demain à la cour. En vertu du privilège dont je jouis comme attaché à la maison du roi, je puis vous accompagner jusqu’à son cabinet, et vous en faciliter l’entrée si vous éprouviez quelque difficulté. Je puis aussi vous indiquer le temps et la manière convenables pour approcher du roi. – Mais je ne sais pas, ajouta Heriot en souriant, si ces petits avantages pourront balancer l’inconvénient d’en être redevable à un orfèvre de la Cité…
– Dites plutôt au seul ami que j’aie trouvé à Londres, s’écria Nigel en lui offrant la main.
– Si vous pensez ainsi, il n’y a plus rien à dire. J’irai vous prendre après-demain avec une barque convenable à l’occasion. Mais souvenez-vous, milord, que je ne cherche pas, comme certaines gens, à m’élever au-dessus de ma condition, et à saisir les occasions de me mettre de niveau avec ceux qui sont, au-dessus de moi. Ne craignez donc pas de me mortifier en me laissant à quelque distance quand nous serons en présence du souverain ; il doit y avoir en cet endroit une ligne de séparation entre nous ; et je me trouverai fort heureux si j’ai pu rendre quelque service au fils de mon ancien protecteur.
Le sujet de cette conversation était si éloigné de l’objet qui avait excité la curiosité du jeune lord, qu’il ne vit aucun moyen de la satisfaire ce soir-là. Il fit ses remerciemens à George Heriot, et prit congé de lui, promettant de l’attendre le surlendemain à dix heures du matin, et d’être prêt à le suivre.
La race des porte-falots, célébrée par le comte Antoine Hamilton comme particulière à Londres, avait déjà commencé ses fonctions sous le règne de Jacques I er , et l’un d’eux fut chargé de marcher devant lord Nigel et son serviteur avec sa torche fumante, pour les éclairer jusqu’à leur logement, dont ils auraient couru risque de ne pas retrouver le chemin dans l’obscurité, quoiqu’ils commençassent à connaître passablement la Cité. Cela fournit à l’adroit Moniplies l’occasion de s’approcher de son maître après avoir passé sa main gauche dans son bouclier, et s’être assuré que son sabre ne tenait pas au fourreau, afin de se trouver prêt à tout ce qui pourrait arriver.
– Si ce n’était pour le vin et la bonne chère qu’on trouve chez ce vieux marchand, milord, dit-il d’un ton sentencieux, et si je ne le connaissais, par ouï-dire, pour un homme vivant bien sous plusieurs rapports, et pour un véritable enfant d’Édimbourg, j’aurais désiré de voir s’il n’y avait pas un pied fourchu sous sa belle rosette et son soulier de Cordoue.
– Comment, drôle, répondit son maître, après avoir été si bien traité et avoir rempli votre estomac aux dépens de ce brave homme, vous vous permettez de faire sur lui de semblables réflexions !
– Sauf respect, milord, c’est seulement pour vous dire que je voudrais le connaître un peu mieux. – J’ai fait bonne chère chez lui, c’est la vérité ; et il n’est que plus honteux que des gens comme lui puissent se régaler ainsi, tandis que Votre Seigneurie et moi nous sommes souvent réduits à la bouillie au pain d’orge. – J’ai aussi bu de son vin, et…
– Et je vois que vous en avez bu beaucoup plus que vous n’auriez dû le faire.
– Pardonnez-moi, milord ; vous ne parleriez pas ainsi si vous saviez que je n’ai fait que vider une bouteille avec Jenkin, – un apprenti de Fleet-Street, et c’était par manière de reconnaissance du service qu’il m’avait rendu. Je dois convenir aussi que je lui ai chanté la bonne vieille chanson d’Elsie Marlie, comme de sa vie il ne l’avait entendu chanter.
Et chemin faisant (comme dit John Bunyan), il se mit à chanter à haute voix :
Avez-vous vu Marlie,
Qui vend des pains tout chauds ?
Elle est bien trop jolie
Pour garder les pourceaux.
Avez-vous vu…
Mais le chanteur fut
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