Les Aventures de Nigel
vous dirai ce que reconnaissent comme vérité tous ceux qui demeurent dans l’arrondissement de Lombard-Street. Cette dame, cette sorcière, ou quel que soit le nom que vous voudrez lui donner, est morte de corps depuis bien des années, quoiqu’elle vienne voir la famille, même pendant ses dévotions.
– Vous conviendrez du moins que c’est un bon esprit, puisqu’elle choisit un pareil moment pour venir voir ses amis.
– Je n’en sais rien, milord. Je ne connais pas d’esprit qui aurait pu résister en face à John Knox, que mon père a soutenu dans toutes ses tribulations, excepté quand la cour s’est déclarée contre lui, parce qu’il fournissait à la cour la viande de boucherie. Mais le ministre qui était là n’est pas de la même église que le révérend M. Rollock et le révérend M. David Black de North-Leith, et tant d’autres. Qui sait si les prières que les ministres anglais lisent dans leur vieux livre noir tout vermoulu n’ont pas autant d’efficacité pour attirer les diables, qu’une bonne prière sortant du cœur, chaude comme un fer rouge, prononcée par un ministre écossais, en a pour les chasser, comme le mauvais esprit a été chassé par l’odeur du foie de poisson de la chambre nuptiale de Sara, fille de Raguel : mais, quant à cette dernière histoire, je ne prétends pas dire si elle est vraie ou fausse ; car on dit que des gens plus savans que moi en ont douté.
– Fort bien ! fort bien ! dit son maître avec impatience ; nous voici près du logis, et je vous ai laissé parler à votre aise afin de voir où aboutiraient vos sottes superstitions. – Pour qui donc, vous et les gens absurdes qui vous ont conté cette fable, prenez-vous cette dame ?
– C’est ce que je ne puis vous dire précisément ; mais il est certain que son corps est mort et a été mis en terre il y a bien long-temps, quoiqu’elle revienne encore parmi les vivans, et surtout dans la famille de maître Heriot ; cependant ceux qui la connaissent bien l’ont vue aussi en d’autres lieux. Mais qui est-elle ? c’est ce que je ne saurais vous dire ; pas plus que la raison pourquoi elle s’est attachée à une famille particulière, comme une Brownie {34} d’Écosse. – On dit qu’elle a un appartement à elle, antichambre, salon, chambre à coucher ; mais du diable si elle a un autre lit qu’un cercueil. Et les portes et les fenêtres sont si bien fermées et calfeutrées, que le moindre jour n’y peut entrer, et il lui faut des chandelles en plein midi.
– Qu’en a-t-elle besoin, si c’est un esprit ?
– Comment pourrais-je le dire à Votre Seigneurie ? Dieu merci, je ne sais ni ce qu’il lui faut, ni ce qu’il ne lui faut pas. – Seulement son cercueil est là. Et dites-moi si une personne vivante a plus besoin d’un cercueil qu’un esprit d’une lanterne ?
– Quelle raison peut avoir une femme si jeune et si belle pour faire un objet de contemplation habituelle du lit où elle trouvera un jour le long et dernier repos ?
– En vérité, je n’en sais rien, milord. Mais le cercueil est là, comme me l’ont dit ceux qui l’ont vu. Il est de bois d’ébène, garni de clous d’argent, et doublé de damas digne de servir pour le lit d’une princesse.
– Cela est fort singulier, dit Nigel, dont l’esprit, comme celui de la plupart des jeunes gens, s’intéressait aisément à tout ce qui avait une apparence extraordinaire et romanesque ; et ne mange-t-elle jamais avec la famille ?
– Qui ? elle ? il faudrait une cuiller à long manche pour manger la soupe avec elle. Cependant on lui met toujours quelque chose dans le tour, car c’est ainsi qu’ils appellent une espèce de boîte ronde ouverte d’un côté et fermée de l’autre, et qu’on fait tourner comme un moulinet.
– Je sais ce que c’est ; j’en ai vu dans des couvens en pays étranger. Et c’est ainsi qu’on lui donne sa nourriture ?
– On y met tous les jours quelque chose, à ce qu’on m’a dit ; mais ce n’est que pour la forme. On ne doit pas croire qu’elle y touche plus que les images de Baal et du dragon ne touchaient aux vivres qu’on plaçait devant elles. Il y a assez de domestiques et de servantes dans la maison pour jouer le rôle d’Avale-tout, comme les soixante-dix prêtres de Bel, sans compter leurs femmes et leurs enfans.
– Et jamais on ne la voit qu’aux heures de la prière ?
– Jamais que je sache.
– Cela est
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