Les Aventures de Nigel
changea d’attitude, de manière à tourner presque le dos à celle qui l’interrogeait.
– Rien, mon oiseau de paradis ! Et êtes-vous dans l’usage de faire ainsi lever vos amis pour rien au milieu de la nuit ?
– Ce n’est pas moi qui vous ai envoyé chercher.
– Et qui est-ce donc ? Si l’on n’était pas venu me chercher, je ne serais pas venue ici à une pareille heure, je vous en réponds.
– Je présume que c’est cette vieille folle de Jenny qui se l’est mis dans la tête, car depuis deux heures elle ne fait que m’étourdir en me parlant de vous et de la mère Redcap.
– De moi et de la mère Redcap ! c’est vraiment une folle d’accoupler ainsi les gens. – Mais allons, ma jolie petite voisine, Jenny après tout n’est pas aussi folle qu’on pourrait le croire, car elle a senti que la mère Redcap n’est pas en état de donner aux jeunes têtes les avis dont elles ont besoin, et elle a été chercher du secours où elle savait qu’elle en trouverait. Ainsi donc, ma jolie enfant, rassurez votre petit cœur, dites-moi ce qui vous tourmente, et fiez-vous à dame Ursule pour y trouver un remède.
– Puisque vous êtes si savante, mère Ursule, vous pouvez deviner ce que j’ai sans que je vous le dise.
– Sans doute ! mon enfant, sans doute ; personne ne peut jouer mieux que moi au vieux jeu, dites-moi à quoi ressemble ce que je pense ? Hé bien, je garantis que votre petite tête est en feu, parce qu’elle désire porter une parure plus haute d’un pied que celles de nos dames de la Cité. – Ou peut-être avez-vous envie de faire une partie de plaisir à Islington ou à Ware, et votre père a de l’humeur et ne veut pas y consentir. – Ou…
– Vous êtes une vieille folle, dame Suddlechops, et vous ne devriez pas vous mêler de choses auxquelles vous n’entendez rien.
– Aussi folle qu’il vous plaira, mistress Marguerite, répondit dame Ursule, offensée à son tour ; mais quant à vieille, je ne le suis pas plus que vous de beaucoup d’années.
– Ah ! nous nous fâchons ! Eh ! dites-moi, s’il vous plaît, madame Ursule, comment se fait-il que vous qui n’êtes pas plus vieille que moi de beaucoup d’années, vous veniez m’entretenir de pareilles fadaises, moi qui suis plus jeune que vous d’un assez grand nombre, et qui ai assez de bon sens pour me soucier fort peu d’une parure de tête, ou d’Islington ?
– Fort bien, ma belle, fort bien, dit la sage conseillère en se levant ; je vois que je ne puis être bonne à rien ici ; et il me semble que, puisque vous savez mieux que personne ce qu’il vous faut, vous pourriez vous dispenser de déranger les gens à minuit pour leur demander des avis.
– Mais vraiment vous êtes en colère, ma bonne mère, dit Marguerite en la retenant ; cela vient sans doute de ce que vous êtes sortie ce soir sans avoir soupé, car je ne vous ai jamais vue de mauvaise humeur quand votre estomac ne vous demande rien. – Jeannette ! Jeannette ! apportez une assiette et du sel pour dame Ursule. – Et qu’avez-vous donc dans ce pot ? De l’ale ? Fi donc ! – Jeannette, jetez-la par la fenêtre, ou plutôt gardez-la pour le déjeuner de mon père ; et apportez la bouteille de vin des Canaries qu’on lui avait préparée. Au milieu de ses profonds calculs, il ne saura seulement pas s’il boit de la bière ou du vin.
– Je pense comme vous, ma chère enfant, dit dame Ursule, dont le déplaisir momentané s’évanouissait en voyant ces préparatifs de bonne chère ; et s’établissant dans un grand fauteuil devant une table à trois pieds, elle se mit à manger de bon appétit le mets délicat qu’elle s’était préparé. Elle ne manqua pourtant pas à la civilité, et elle pressa mistress Marguerite d’en prendre sa part, mais ce fut inutilement : elle ne put y réussir.
– Du moins vous boirez un verre de vin des Canaries avec moi, dit dame Ursule ; j’ai entendu dire à ma grand’mère que, du temps des catholiques, le pénitent buvait toujours un coup avec son confesseur avant de se confesser, et vous êtes ma pénitente.
– Je ne boirai pas, répondit Marguerite ; et je vous ai déjà dit que, si vous n’êtes pas en état de deviner ce qui me tourmente, je n’aurai jamais le courage de vous le dire.
À ces mots, elle se détourna encore, reprit sa première attitude, appuyant son menton sur sa main et son coude sur la table, et tournant le dos ou du moins
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