Les Aventures de Nigel
avec moi.
– Je ne suis pas intéressée, mistress Marguerite ; mais bien véritablement je voudrais vous voir écouter quelques conseils : songez à votre condition.
– Je sais que mon père exerce une profession ignoble, mais notre sang ne l’est pas. Il m’a dit que nous descendons, d’un peu loin à la vérité, des grands comtes de Dalwolsey.
– Sans doute, sans doute ; parmi vous autres Écossais, je n’en connais pas un qui ne descende de quelque grande maison ; mais, comme vous le dites, c’est d’un peu loin, et la distance est telle, qu’on ne peut en apercevoir le bout. Mais dites-moi donc le nom de ce galant du Nord, afin que je voie ce qu’il est possible de faire pour vous.
– C’est lord Glenvarloch, qu’on appelle aussi lord Nigel Olifaunt, dit Marguerite en baissant la voix, et en se détournant pour cacher sa rougeur.
– C’est le diable, s’écria dame Suddlechops, et quelque chose de pire encore ! Que le ciel nous protège !
– Que voulez-vous dire ? demanda Marguerite, surprise de la vivacité de cette exclamation.
– Comment ! ne savez-vous pas qu’il a de puissans ennemis à la cour ? Ne savez-vous pas que… Maudite langue ! elle va plus vite que ma tête, – Il suffit de vous dire qu’il vaudrait mieux placer votre couche nuptiale sous une maison prête à s’écrouler que de songer au jeune Glenvarloch.
– Il est donc malheureux ! Je le savais, je l’avais deviné. Il y avait dans sa voix un accent de tristesse, même quand il s’efforçait d’être gai. J’ai remarqué une teinte d’infortune dans son sourire mélancolique. Je me serais moins occupée de lui si je l’avais vu briller de tout l’éclat de la prospérité.
– Les romans lui ont tourné la cervelle, dit dame Ursule ; c’est une fille perdue ! absolument perdue ! Aimer un lord écossais ! et l’aimer parce qu’il est dans le malheur ! J’en suis fâchée, mistress Marguerite ; mais c’est une affaire dans laquelle je ne puis vous aider. Ce serait agir contre ma conscience. Cela sort du cercle de mes occupations ordinaires. Mais je ne vous trahirai pas.
– Vous n’aurez pas la bassesse de m’abandonner après avoir tiré de moi mon secret ! s’écria Marguerite avec indignation. Si vous m’aidez, je vous récompenserai bien ; si vous refusez de le faire, je sais comment me venger. La maison que vous occupez appartient à mon père.
– Je ne le sais que trop, mistress Marguerite, répondit Ursule après un moment de réflexion, et je voudrais vous servir dans tout ce qui est à ma portée. Mais quand il s’agit de gens d’un rang plus élevé… Je n’oublierai jamais la pauvre mistress Turner mon honorée maîtresse : que la paix soit avec elle ! elle eut le malheur de se mêler de l’intrigue de Sommerset et d’Overbury ; le grand comte et sa femme eurent assez d’esprit pour retirer leur tête du nœud coulant, et la laissèrent dans les lacs à leur place, avec une demi-douzaine d’autres. Je crois la voir encore debout sur l’échafaud, ayant autour de son beau cou une collerette apprêtée avec l’empois jaune que je l’avais si souvent aidée à faire, et qui allait être remplacée par une vilaine corde de chanvre. Un tel spectacle, ma chère amie, est bien fait pour ôter l’envie de se mêler d’affaires trop fortes pour moi, ou qui pourraient, comme un fer rouge, me brûler la main.
– Folle que vous êtes ! est-ce que je vous propose d’employer les pratiques criminelles qui ont fait condamner à mort cette misérable ? Tout ce que je vous demande, c’est de me procurer des renseignemens certains sur l’affaire qui amène ce jeune lord à la cour.
– Et quand vous connaîtriez son secret, mon cœur, à quoi cela servirait-il ? Mais, si vous voulez que je vous rende ce service, il faut que vous m’en rendiez un autre.
– Et qu’est-ce que vous désirez de moi ?
– Je vous l’ai déjà demandé, mais vous vous êtes mise en colère tout de bon. Je voudrais avoir quelque explication sur l’histoire de l’esprit qui est chez votre parrain, et qu’on ne voit qu’à l’heure des prières.
– Pour rien au monde je ne servirai d’espion pour découvrir les secrets de mon bon parrain ; jamais je ne chercherai à connaître ce qu’il désire cacher. Mais vous savez, Ursule, que j’ai une fortune à moi, et que je dois en être maîtresse absolue dans un temps qui n’est pas bien éloigné. Songez
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