Les Aventures de Nigel
coup d’œil d’approbation, en se voyant dans un miroir, et il entendit son hôtesse s’écrier, avec un transport de joie qui allait jusqu’à l’enthousiasme, qu’il prendrait l’avantage du vent sur tous les élégans de la cour, tant le commerce de son mari lui avait été utile pour enrichir ses discours de métaphores !
À l’heure convenue, maître George Heriot arriva dans une barque élégante, armée d’un nombre suffisant de rameurs, et couverte d’une banne sur laquelle il avait fait peindre son chiffre et les armes de la corporation des orfèvres.
Le jeune lord de Glenvarloch reçut l’ami qui lui avait donné des preuves d’un attachement si désintéressé, avec la politesse affectueuse dont il était bien digne.
Ce ne fut qu’alors que maître Heriot lui parla de la somme que le roi l’avait chargé de lui payer, et il la remit à son jeune ami sans vouloir en déduire, pour le présent, ce qu’il lui avait lui-même déjà avancé. Nigel sentit toute la reconnaissance que méritaient le désintéressement et l’amitié du citadin, et ne manqua pas de la lui exprimer convenablement.
Cependant, comme le jeune lord s’embarquait pour se rendre à l’audience de son souverain, sous les auspices d’un homme dont la qualité la plus distinguée était d’être un des principaux membres de la corporation des orfèvres, il éprouva une sorte de surprise, pour ne pas dire de honte, de sa situation, et Richie Moniplies, en arrivant à bord, ne put s’empêcher de murmurer à voix basse : – Les temps sont bien changés ! Quelle différence entre maître Heriot et son honnête homme de père qui demeurait dans le Kroemes ! mais c’est bien autre chose de frapper sur l’or et sur l’argent, ou de battre du cuivre ou de l’étain.
Grâce aux rames de quatre vigoureux bateliers, ils avançaient sur la Tamise, qui était alors la principale grande route de communication entre Londres et Westminster, car peu de gens se hasardaient d’aller à cheval dans les rues étroites et populeuses de la Cité ; les équipages étaient alors un luxe que la plus haute noblesse se permettait seule, et auquel un simple citoyen, quelle que fut sa fortune, n’aurait osé aspirer. L’introducteur de Nigel lui fit remarquer la beauté des rives de ce fleuve, surtout du côté du nord, où elles étaient bordées par les jardins des hôtels des grands seigneurs, qui s’avançaient jusqu’au bord de l’eau ; mais ce fut inutilement. L’esprit du jeune lord Glenvarloch était entièrement occupé, et d’une façon peu agréable, à se figurer la réception que lui ferait un roi pour lequel sa famille s’était presque entièrement ruinée ; avec l’anxiété ordinaire à ceux qui se trouvent dans une pareille situation, son imagination supposait les questions que le roi pourrait lui adresser, et il se creusait l’esprit pour y préparer des réponses. Maître Heriot vit aisément ce qui l’occupait, et il ne voulut pas augmenter son embarras en cherchant à l’en distraire par sa conversation ; de sorte que, après lui avoir brièvement expliqué le cérémonial usité dans une présentation à la cour, il garda le silence pendant tout le reste du voyage.
Ils débarquèrent à l’escalier de Whitehall, et ils furent admis dans le palais après avoir décliné leur nom. Les sentinelles rendirent à lord Glenvarloch les honneurs dus à son rang. Le cœur du jeune lord battait bien vivement quand il entra dans les appartemens du roi. L’éducation fort simple qu’il avait reçue en pays étranger ne lui avait donné que des idées imparfaites de la grandeur d’une cour, et les réflexions philosophiques qui lui avaient appris à mépriser un vain cérémonial et toute magnificence extérieure se trouvèrent, comme toutes les maximes de pure philosophie, sans efficacité contre l’impression que fit naturellement sur l’esprit d’un jeune homme sans expérience l’éclat d’une scène à laquelle il n’était pas accoutumé. Les appartemens splendides qu’ils traversèrent, le riche costume des domestiques, des gardes, des huissiers ; le cérémonial qui accompagnait leur passage d’une salle dans une autre : tout cela, quoique pouvant paraître insignifiant aux yeux d’un courtisan exercé, avait quelque chose d’embarrassant et même d’alarmant pour un homme qui en était témoin pour la première fois, et qui ignorait quel accueil lui ferait le souverain devant lequel
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