Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
la méchanceté. Je n’ai pas découvert une sub-stance mais une volonté perverse détournée de la substance la plus
haute, toi Dieu, vers les choses les plus basses, qui vomit son intimité et
gonfle son apparence.
23.
À mon grand étonnement, je t’aimais déjà. Toi et pas un fantasme à
la place. J’étais pourtant inconstant dans la jouissance de mon Dieu. Ta
beauté m’enlevait jusqu’à toi et aussitôt mon poids m’en arrachait. Je
touchais le fond en gémissant. Ce poids, c’était celui de mes passions
charnelles.
J’avais avec moi ton souvenir. Je ne doutais pas de l’être à qui m’attacher, mais je n’étais pas encore l’être qui s’attacherait. Parce qu’un
corps corruptible appesantit l’âme ; et cette tente de terre alourdit
l’esprit aux multiples soucis. Mais j’étais absolument convaincu que ton
invisible, l’éternité de ta puissance et de ta divinité, tes œuvres depuis
la création du monde, t’ont rendu intelligible.
Et cherchant à comprendre à partir de quoi j’évaluais la beauté des
corps, sur la terre comme au ciel, et de quoi je disposais pour juger de
l’irréprochabilité des réalités changeantes, tout en décidant de ce qui
convenait ou pas, dans cette recherche donc des critères de mon jugement, quand j’en venais à un tel jugement, je découvrais l’immuable et
véritable éternité de la vérité, supérieure à mon entendement versatile.
Et c’est ainsi que progressivement je suis passé des réalités physiques
à l’âme dans sa perception physique, et de là à sa force intérieure, reliée
à l’extérieur par les messages que lui adresse la perception physique
– stade auquel peuvent prétendre les animaux –, et de là encore à la
puissance de la raison qui accumule pour son jugement ce qu’elle reçoit
de la perception physique. Cette puissance en moi s’est révélée changeante elle aussi, et s’est élevée jusqu’à son propre entendement, a
détourné la pensée de ses lieux communs, s’est débarrassée de la foule
des fantasmes contradictoires pour découvrir la lumière qui l’éclaboussait quand elle proclamait sans hésiter que l’immuable est préférable à
ce qui est changeant, et d’où lui venait la connaissance de l’immuable
en soi, car sans pouvoir le connaître elle ne l’aurait jamais préféré à ce
qui est changeant.
Elle y parvient dans la foudre d’un regard vacillant.
Et alors j’ai vu ton invisible rendu intelligible à travers la création.
Mais j’ai été incapable de fixer mon regard. Et une infirmité refoulée
m’a rendu à la banalité. Je n’avais rien d’autre avec moi qu’un souvenir
amoureux, le fumet appétissant de ce que je ne pouvais encore manger.
24.
Je cherchais la voie. Comment obtenir la force nécessaire pour être
capable de jouir de toi. Je ne trouvais pas. Je n’avais pas encore tenu
entre mes bras le médiateur de Dieu et de l’humanité : un homme,Christ Jésus, au-dessus de tous, Dieu béni pour toujours. Il appelle et
dit : c’est moi le chemin, la vérité, la vie. Il mélange à la chair l’aliment
dont me privait ma faiblesse. Parce que la parole a pris chair pour que
notre enfance tête le lait de ta sagesse, avec laquelle tu as tout créé. Je
n’étais pas encore assez obscur pour tenir mon Dieu, Jésus l’obscur, et
je ne savais pas ce que nous enseignait sa vulnérabilité.
Tout en haut, bien plus haut que tout ce que tu as fait de plus haut,
ta parole, vérité éternelle, élève les sans-grade jusqu’à elle. Mais tout en
bas, elle s’est fait une pauvre maison de notre boue pour y rabaisser
ceux qui doivent lui être soumis et les faire venir à elle. Guérir leur
tumeur. Nourrir leur amour. Pour que la confiance qu’ils ont en eux-mêmes ne les éloigne pas davantage. Pour qu’ils deviennent vulnérables
en voyant à leurs pieds la divinité vulnérable qui partage notre tunique
de peau. Pour qu’ils se prosternent d’épuisement devant elle qui, en se
relevant, les soulagera.
25.
Mais je pensais différemment. Ma conception de Christ, mon Seigneur, se limitait à celle d’un homme de grande sagesse que personne
ne pouvait égaler. Et surtout, sa naissance merveilleuse d’une vierge,
mépris exemplaire du temporel au profit de l’immortalité, représentait
pour moi le signe de l’attention divine à notre égard, et qui donnait une
telle autorité à son enseignement. Mais j’étais incapable de soupçonner
ce
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