Les Aveux: Nouvelle Traduction Des Confessions
paille.
17.
Toi qui fais l’union de ceux qui ne sont qu’un dans un foyer, tu as
ouvert notre communauté à Évodius, un jeune de notre ville. Il s’était
engagé dans les services spéciaux de l’armée. Avant de venir à nous, il
s’était déjà tourné vers toi, et se fit baptiser. Il avait démissionné de sa
fonction dans le monde pour s’engager auprès de toi. Être ensemble,
c’était pour nous vivre saintement ensemble. Nous avons cherché alors
où nous serions plus utiles à ton service, et nous avons décidé de retourner en Afrique.
Nous étions à Ostie, à l’embouchure du Tibre.
Ma mère est morte.
J’oublie beaucoup de choses. Je fais vite.
Accepte mes aveux et mes remerciements, mon Dieu, pour d’innombrables choses que je tais. Mais je n’oublierai rien de l’amour que j’ai
conçu pour elle, ton esclave, qui m’a conçu pour me faire naître dans sa
chair à la lumière du temps, et dans son cœur à celle de l’éternité.
Je ne vais pas parler de ses dons mais de tes dons en elle. Elle ne s’est
pas faite elle-même ni éduquée elle-même : tu l’as créée, et ni son père
ni sa mère ne savaient quelle personne se ferait à partir d’eux. Elle fut
instruite dans ton amour par la baguette de ton messie, sous la conduite
de ton fils unique, dans un foyer croyant, membre sain de ton assemblée. Elle prétendait qu’elle ne devait pas tant son éducation aux soins
de sa mère qu’à ceux d’une vieille esclave décrépite qui avait porté sur
son dos son père enfant, comme les aînés portent souvent les plus
petits. Ce souvenir, avec son grand âge et sa conduite irréprochable, lui
valaient, dans ce foyer chrétien, les égards de ses maîtres. Ils lui avaient
confié leurs filles, elle en avait pris grand soin. Quand elle devait les corriger, elle usait d’une vive et sainte sévérité. Et pour leur instruction,
d’une discrète réserve. Elle ne leur permettait pas, fussent-elles assoiffées, de boire, même de l’eau, en dehors des heures des repas frugaux
qu’elles prenaient à la table de leurs parents. Pour prévenir de mauvaises habitudes. Elle ajoutait cette sage parole : aujourd’hui, vous
buvez de l’eau faute d’avoir du vin, et une fois mariées et devenues maîtresses de la cave et du cellier, l’eau vous dégoûtera mais vous garderez
l’habitude de boire. Cet avertissement sensé et cet interdit catégorique
ont refréné l’avidité d’un âge trop tendre. Elle a éduqué la soif de ces
jeunes filles, à devenir honnête et mesurée, pour ne plus désirer ce qui
était inconvenant.
18.
Et pourtant, insidieusement, oui comme elle me l’a raconté à moi,
son fils, elle prit insidieusement goût au vin. Ses parents, se fiant, selon
la coutume, à sa réputation de jeune fille sobre, l’envoyaient souventtirer du vin au tonneau. Par l’ouverture supérieure, elle plongeait une
coupe, mais avant de verser le vin pur dans la cruche, elle en prenait un
petit peu du bout des lèvres. Elle ne pouvait en supporter davantage sans
éprouver de dégoût. Il s’agissait moins en fait d’un penchant pour l’ivresse
que d’un débordement d’une jeunesse exubérante, espiègle et bouillonnante, réprimé d’habitude chez les enfants par l’influence des adultes.
C’est ainsi que, chaque jour, de petite gorgée en petite gorgée supplémentaire – parce que celui qui néglige les détails tombe pour un rien –, elle a
pris l’habitude de vider avidement des coupes presque pleines. Où était
passée alors la vieille femme pleine de sagesse avec ses interdits vigoureux ? Mais pouvait-on quelque chose contre cette maladie cachée si toi,
Seigneur, avec ton remède, tu ne veillais sur nous ? En l’absence du père
et de la mère, et de ceux qui l’élevaient, tu étais présent toi qui as créé, qui
appelles, et qui aussi par l’intermédiaire des hommes accomplis quelque
bien pour le salut des âmes. Qu’as-tu fait alors, mon Dieu ? Comment l’as-tu soignée ? et guérie ? N’est-ce pas en faisant sortir de l’âme de quelqu’un
d’autre, comme un fer guérisseur tiré de tes réserves cachées, une critique
acerbe et sévère qui trancha net cette gangrène ? Une servante, en effet,
qui avait l’habitude de l’accompagner au tonneau, se disputa avec sa jeune
maîtresse. Elles sont seules. Elle l’accuse de cette faute en la traitant de
petite ivrogne. Insulte amère. Elle, piquée au vif, réalise son horreur.
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