Les Bandits
nomades, des pilleurs ou des pirates d’antan qui
conquirent des royaumes et des empires. Et, bien entendu, même ceux qui n’avaient
pas de grandes ambitions sociales, politiques ou idéologiques avaient beaucoup
plus d’opportunités de faire butin qu’en temps normal. Les guerres du XVII e siècle en Allemagne, de même que les guerres
révolutionnaires françaises, marquèrent l’âge d’or des bandes de brigands (voir
plus loin, le chapitre p. 107 éd. anglaise). Avec le déclin, l’érosion, voire
la dissolution du pouvoir d’État auquel nous assistons à la fin du XX e siècle, il est possible que des pans entiers de la
planète s’engagent à nouveau dans une ère semblable.
Néanmoins, au cours des cinq derniers siècles de l’histoire
du banditisme, il est rarement arrivé que le pouvoir soit absent ou informe
suffisamment longtemps pour que les chefs de groupes armés autonomes deviennent
des acteurs de premier plan sur la scène politique et sociale. Ils disposaient
rarement des forces suffisantes pour y parvenir. Quels qu’aient pu être leurs
idées ou leurs objectifs, ils devaient faire preuve de réalisme politique. Le
mieux qu’ils pouvaient faire était de maintenir un certain degré d’autonomie et,
sans jamais prendre totalement parti, négocier avec ceux qui étaient disposés à
acheter leur soutien au prix fort – c’est-à-dire ceux qui ne pouvaient parvenir
à leurs fins sans cela. Mais, en dernière analyse, ils devaient s’accommoder de
toute autorité supérieure qui se montrait disposée à les tolérer, ou bien
disparaître.
C’est ce qui explique les négociations constantes entre l’Empire
ottoman et certaines communautés armées et indépendantes ; ou encore le
fait que les combattants des Highlands pouvaient tour à tour résister à l’État
ou devenir ses agents, quand ils ne jouaient pas ces rôles simultanément. D’où
aussi, durant la Seconde Guerre mondiale, l’échec des émissaires britanniques
qui tentèrent d’organiser le soulèvement des clans libres, et en aucun cas
communistes, de combattants albanais des hauts plateaux contre l’occupant
allemand et italien. On fit savoir à ces combattants (par la bouche du gendre
de Churchill) qu’en cas de non-soulèvement, l’avenir de l’Albanie se trouverait
inévitablement après la guerre entre les mains de la résistance communiste. Bien
que l’idée de combattre ne les rebutât nullement, ils ne se montrèrent guère
convaincus. La proposition qui consistait à hypothéquer le futur du clan en
fermant toutes les options politiques à l’exception d’une seule n’avait
strictement aucun sens dans l’univers qui était le leur. Comme nous le verrons
plus loin (p. 115-116 éd. anglaise), c’est un conflit similaire portant sur la
stratégie comme sur la tactique qui mit fin à la symbiose entre les bandits et
les communistes au cours de la révolution chinoise. Aux yeux des premiers, les
seconds n’étaient qu’une option parmi plusieurs alliés et protecteurs
temporaires potentiels. Dans la pratique, ils n’étaient guère différents des
seigneurs de la guerre ou des Japonais, bien qu’en théorie ils fussent
peut-être plus proches que ces derniers de l’idéologie qui imprégnait le grand
roman picaresque de la Chine impériale,
Shui
Hu Zhuan
(
Au bord de l’eau
).
Quant aux communistes, ni leur attachement sentimental à la tradition de la
révolte de brigands ni même le nombre considérable de bandits enrôlés au sein
de l’Armée rouge ne suffisaient à leur faire oublier le fait que la lutte de
libération nationale et sociale ne pouvait à terme être remportée de cette
façon.
Quelle place l’élément social du banditisme, qui prend fait
et cause en faveur du faible contre le fort, du pauvre contre le riche, et de l’individu
assoiffé de justice contre la domination inique, occupe-t-il donc dans son
histoire politique, une histoire où les bandits apparaissent comme des hommes
de pouvoir, logiquement attirés vers l’univers du pouvoir ? C’est ce que j’espère
montrer au cours des chapitres qui suivent.
CHAPITRE
2.
QU’EST-CE QUE LE BANDITISME SOCIAL ?
«
Nous sommes
tristes, cela est vrai ; mais c’est que nous avons toujours été persécutés.
Les nobles se servent de la plume, nous du fusil ; ils sont les maîtres de
la plaine, nous sommes les rois de la montagne.
»
Vieux brigand de Roccamandolfi
(Molise) [23] .
« Si un brigand ordinaire
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