Les Bandits
relativement superficielles. Qui plus est, cette uniformité n’est
pas la conséquence d’une diffusion culturelle, mais le reflet de situations
semblables au sein de sociétés paysannes, que ce soit en Chine, au Pérou, en
Sicile, en Ukraine ou en Indonésie. Du point de vue géographique, ce banditisme
se retrouve partout en Amérique, en Europe, dans le monde islamique, dans l’Asie
du Sud et de l’Est, et même en Australie. Socialement parlant, il apparaît, semble-t-il,
dans tous les types de sociétés situées à mi-chemin entre la phase évolutive de
l’organisation tribale familiale et la société capitaliste et industrielle
moderne, sans oublier les phases de désintégration de la société familiale et
le passage au capitalisme agraire.
Le pillage est une pratique courante dans les sociétés
tribales ou familiales, mais ces sociétés ne connaissent pas la stratification
interne qui fait du bandit une figure de la protestation et de la révolte
sociales. Néanmoins, quand ces communautés, en particulier celles qui, comme
les communautés de chasseurs et de bergers, s’adonnent aux luttes tribales et
au pillage, établissent en leur sein des différences de classes ou sont
absorbées par un système économique fondé sur un antagonisme de classes, elles
peuvent fournir un nombre particulièrement élevé de bandits sociaux, comme cela
s’est produit entre le XV e et le XVIII e siècle dans l’Empire ottoman, où certains historiens
ont pratiquement considéré que le brigandage et l’activité pastorale se
confondaient. C’est le cas de la Barbagia, en Sardaigne ou, en Hongrie, du
Kuncsàg (pays des Cumans, l’un des derniers groupes de pasteurs nomades ayant
quitté l’Asie centrale pour s’installer en Europe). Quand on étudie ces régions,
il est difficile de déterminer de manière précise le moment où la pratique des
luttes tribales et du pillage devient du banditisme social, que ce soit sous la
forme d’une résistance aux riches, à des conquérants ou des oppresseurs
étrangers, ou à d’autres forces qui détruisent l’ordre traditionnel – tous ces
éléments pouvant être mêlés dans l’esprit des bandits, comme d’ailleurs dans la
réalité. Avec un peu de chance, on peut cependant situer chronologiquement la
transition à l’intérieur d’une ou deux générations ; dans les monts de
Sardaigne, par exemple, elle est contenue dans le demi-siècle qui va de 1880 à
1930 environ.
À l’autre extrémité du développement historique, les
systèmes agraires modernes, à la fois capitalistes et postcapitalistes, ne sont
plus ceux de la société paysanne traditionnelle et cessent de produire des
bandits sociaux, excepté dans les pays caractérisés par ce que l’on a appelé le
« capitalisme d’implantation coloniale », comme les États-Unis, l’Australie
ou l’Argentine. Dans le pays qui a donné au monde Robin des Bois, paradigme
international du banditisme social, il n’y a plus trace de véritables bandits
sociaux après, disons, le début du XVII e siècle, même
si l’opinion publique, en idéalisant d’autres types de criminels, comme les
bandits de grand chemin, leur a donné des substituts plus ou moins adéquats. La
« modernisation » au sens large, c’est-à-dire l’apparition conjointe
d’un développement économique et d’un système de communication et d’administration
publique efficace, prive toutes les formes de banditisme, y compris le
banditisme social, des conditions favorables à son épanouissement. Dans la
Russie tsariste, par exemple, le brigandage, qui avait existé presque partout
dans le pays à l’état endémique ou épidémique jusqu’au milieu du XVIII e siècle, avait disparu à la fin du siècle du voisinage
immédiat des villes, et, au milieu du XIX e , ne se
trouvait plus, de façon générale, que dans des régions qui n’avaient été ni
colonisées ni pacifiées, et tout particulièrement dans les régions habitées par
des peuplades minoritaires. L’abolition du servage en 1861 marqua la fin d’une
longue série de décrets passés par le gouvernement pour lutter contre le
banditisme. Il semble que le dernier ait été promulgué en 1864.
À part cela, le banditisme social existe partout où les
sociétés reposent sur l’agriculture (y compris les économies pastorales) et
sont constituées en majeure partie de paysans et de travailleurs sans terre
gouvernés, opprimés et exploités par
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