Les Bandits
veut avoir une longue carrière,
il doit faire preuve de philanthropie ou en préserver les apparences, même
lorsqu’il tue et dérobe de plus belle. Sinon, il risque de perdre la sympathie
populaire dont il bénéficie et de faire figure de simple voleur ou meurtrier [24] »
Que l’on dévalise un transporteur de fonds à un coin de rue
ou que l’on appartienne à une organisation d’insurgés ou de guérilleros qui n’est
pas officiellement reconnue, on est considéré par la loi comme un bandit si l’on
est membre d’un groupe qui a recours à la violence et pratique le vol à main
armée. Aujourd’hui, cela peut valoir d’être considéré, de façon tout aussi peu
critique, comme « terroriste », signe du déclin historique de l’image
du bandit au cours de la seconde moitié du XX e siècle.
L’historien et le sociologue ne sauraient se contenter d’une définition aussi
sommaire. Quant à nous, nous n’étudierons dans ce livre que certaines
catégories de brigands, à savoir ceux qui ne sont pas considérés par l’opinion
publique comme de simples criminels. L’analyse portera essentiellement sur une
forme de révolte paysanne, révolte individuelle ou action d’un groupe
minoritaire. Nous laisserons de côté l’équivalent urbain du bandit-rebelle des
campagnes, et ne ferons qu’allusion aux
desperados
,
d’ailleurs plus nombreux, qui opèrent en milieu rural, mais qui sont des
gentilshommes ruinés, et non des paysans d’origine ou de cœur. En effet, les
communautés urbaines et rurales sont trop différentes pour être analysées de la
même manière et, de toute façon, les bandits paysans, comme la plupart des
paysans, n’ont que méfiance et haine pour les gens de la ville. L’aristocratie
terrienne fournit un certain nombre de bandits (les plus connus étant les « barons
voleurs » en Allemagne à la fin de l’époque médiévale) qui, eux, ont beaucoup
plus de rapports avec la paysannerie ; mais ces rapports, dont il sera
question plus loin, sont complexes et difficiles à cerner.
Ce qu’il faut bien voir à propos du bandit social, c’est que
c’est un paysan hors-la-loi que le seigneur et l’État considèrent comme un
criminel, mais qui demeure à l’intérieur de la société paysanne, laquelle voit
en lui un héros, un champion, un vengeur, un justicier, peut-être même un
libérateur et, en tout cas, un homme qu’il convient d’admirer, d’aider et de
soutenir. Dans les cas où cette société traditionnelle résiste à l’emprise et
au développement historique des gouvernements et des États centralisés, qu’ils
soient indigènes ou étrangers, il lui arrive même de bénéficier de l’aide et du
soutien des seigneurs locaux. Ce sont ces liens entre le paysan ordinaire et le
rebelle, hors-la-loi et brigand, qui constituent l’intérêt et la signification
du banditisme social. Ce sont eux également qui le distinguent de deux autres
formes d’activité criminelle perpétrée en milieu rural, celle des gangs
recrutés parmi les professionnels du crime ou des simples flibustiers (« voleurs
ordinaires »), ainsi que celle qui est le fait des communautés comme les
Bédouins, chez qui le pillage fait partie du mode de vie. Dans les deux cas, la
victime et l’agresseur sont des ennemis qui ne se connaissent pas. Les voleurs
professionnels et les pillards considèrent le paysan comme une proie et savent
qu’il leur est hostile ; de son côté, la victime considère l’agresseur
comme un criminel, et pas seulement parce que la loi le reconnaît comme tel. Il
ne viendrait pas à l’idée d’un bandit social de voler la récolte des paysans (il
n’en va pas de même de celle du seigneur) sur son propre territoire, et même
peut-être en dehors. Ceux qui le font n’ont donc pas avec les paysans ces
rapports d’un type particulier qui font qu’un bandit est « social ». Il
va de soi que, dans la pratique, ces distinctions sont souvent moins nettes. Le
même homme peut être un bandit social dans ses montagnes natales et un simple
brigand dans la plaine. Nous soulignons néanmoins la différence pour les
besoins de l’analyse.
Ce genre de banditisme social est l’un des phénomènes
sociaux les plus universellement répandus, et l’un des plus frappants par son
uniformité. Tous les cas ou presque appartiennent à deux ou trois types
nettement apparentés les uns aux autres, et à l’intérieur desquels les
variations sont
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