Les Bandits
quelqu’un d’autre – c’est-à-dire par des
seigneurs, des villes, des gouvernements, des hommes de loi ou même des banques.
On le trouve sous l’une ou l’autre de ces trois formes principales, dont
chacune fera l’objet d’un chapitre : le bandit au grand cœur ou Robin des
Bois, le résistant primitif ou l’unité de guérilleros que j’appellerai
haïdoucs
, et, peut-être aussi, le « vengeur »
terrible [25] .
Il est difficile de préciser l’importance de ce banditisme. Bien
que les sources nous donnent quantité d’exemples de bandits, nous disposons
rarement de renseignements sur le nombre de bandits en activité à un moment
donné ou de chiffres permettant de comparer l’importance du banditisme à
différentes époques. Il nous faut bien sûr distinguer le brigandage commun des
phénomènes régionaux et périodiques qui permettent, pour une raison ou pour une
autre, à des bandes armées importantes et stables de subvenir à leurs propres
besoins ; ou encore des communautés qui organisent leur existence autour d’une
combinaison d’activités agraires et de banditisme. C’est avec tristesse qu’un
envoyé épiscopal décrivit ainsi en 1703 les Mirdites d’Albanie (catholiques
romains) «
di genio bellicoso, dediti
alle rapine, alli assassini
» (« de nature belliqueuse, enclins
au vol, et aux assassinats »). On aurait pu dire la même chose des « villages
de bandits » des montagnes du Hunan occidental en Chine. Durant les
périodes de déstabilisation du gouvernement, comme pendant l’ère post-impériale
des seigneurs de la guerre, leurs effectifs pouvaient être importants. En s’appuyant
sur une estimation japonaise datant du milieu des années 1920, on peut estimer
que les bandits représentaient entre 0,5 et 0,8 % de l’ensemble de la
population en Mandchourie, et entre 0,7 et 1 % dans le Hunan et le Shantung, sans
compter le million et demi de soldats (sur l’ensemble du territoire chinois) largement
recrutés parmi les bandits ou constitués de bandits potentiels. Mais cette
situation demeure exceptionnelle. En 1962, une fois terminée la phase la plus
meurtrière de la guerre civile en Colombie, les six provinces les plus
troublées du pays comptaient 161 bandes dont les effectifs atteignaient au
total 2 760 membres (estimations de la police). Si ce chiffre est plus élevé
que dans les éditions précédentes de ce livre, il ne représente guère plus d’un
millième de la population totale des régions concernées [26] . Au début du XX e siècle, la Macédoine, avec une population d’approximativement
un million de personnes, entretenait un nombre de bandes nettement plus
important, mais comme elles étaient en grande partie financées et organisées
par des gouvernements divers, elles dépassaient de loin le banditisme spontané
auquel on peut s’attendre dans cette région. D’ailleurs, même dans ces
conditions, elles ne totalisèrent vraisemblablement jamais plus d’un ou deux
mille hommes [27] .
De toute évidence, le banditisme commun restait un phénomène
relativement limité. Dans la Corse du XIX e siècle, le
nombre maximum de « fugitifs » répertoriés ou de présumés bandits
était de 600 individus pour 355 villages. Une estimation plus probable ramène
ce chiffre à 200 ou 300. (En 1933, l’île était encore censée compter une
centaine de hors-la-loi [28] .)
En 1847, qui fut une année modérément agitée, les autorités de la Calabre – une
région traditionnellement livrée au banditisme – dénombraient entre 600 et 700
brigands actifs répartis entre 50 à 60 bandes [29] .
Essentiellement rurale, la population totale de la région ne dépassait
probablement pas un million d’âmes à l’époque. Une estimation qui fixerait la
proportion de bandits à 0,1 %, tout au plus, de la population rurale, resterait
donc extrêmement généreuse.
Il y a, bien sûr, selon les régions, des variations
considérables. Elles sont dues en partie à la géographie, en partie à la
technologie et à l’administration, et en partie à la structure sociale et
économique. Les régions les plus propices au banditisme sont – c’est bien connu
– les régions reculées et inaccessibles, comme les montagnes, les plaines vierges,
les landes, les forêts ou les estuaires avec leur dédale de criques et de cours
d’eau. Il est également évident que les brigands sont attirés par les grandes
routes utilisées pour le commerce et le
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